Le colonialisme a imposé une division internationale du travail Division Internationale du Travail ou DIT : Répartition globale de la production mondiale entre les différents pays en fonction de leurs avantages comparatifs. Ainsi, jusque dans les années 70, le Tiers-monde fournissait essentiellement des matières premières qui étaient transformées dans les anciennes métropoles coloniales. Par la suite, une partie des nations en développement se sont industrialisées à leur tour dans des biens manufacturés de consommation courante. Les pays avancés se sont tournés vers les produits et les services de plus haute technologie.
(En anglais : division of labor)
caractérisée par une surexploitation des travailleur.euse.s des colonies. Dans ce même mouvement, il a agi en créant de nouvelles divisions sociales et sexuelles du travail, tout en produisant des catégories hiérarchisées en termes de nationalité, de classe, de « race » et de genre. Comment ces divisions ont-elles été imposées et comment opèrent-elles dans l’actualité forgeant des « vies jetables », forcées à quitter leur terre natale à la recherche d’un travail surexploité et « invisibilisé » ?

La naissance du capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
est indissociable du processus de colonisation, car c’est notamment grâce au travail forcé, à la traite d’esclaves et au pillage des colonies qu’en Europe, la bourgeoisie naissante parviendra à accumuler les ressources nécessaires à la création des grandes entreprises capitalistes.

Les pillages des ressources et du travail humain dans les colonies ont provoqué de véritables massacres qui, au regard des chiffres et des effets, peuvent être définis comme des génocides. Selon l’historien David Stannard, la population autochtone d’Amérique du Sud a diminué de 95% durant le 16e siècle, premier siècle de la colonisation [1]. La seconde vague de colonisation, au 19e siècle en Afrique et en Asie du Sud-Est, voit 25 millions d’autochtones être assassiné.e.s par les colons ou mourir des suites des captures, de l’esclavage, des déplacements forcés et des famines [2].

Ces crimes s’accompagneront de la destruction systématique des « civilisations », c’est-à-dire, des rapports économiques, sociaux et politiques propres aux communautés colonisées, au nom de la prétendue « mission civilisatrice » de l’homme blanc. Le processus de colonisation impliquera ainsi l’imposition d’une reconstruction de l’organisation du travail, des frontières, des langues, des idéologies, des rapports humains…

Commence alors un long processus d’extension des rapports sociaux capitalistes qui ne seront pas exclusivement caractérisés par la division sociale du travail (opposant travail et capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
), mais aussi, par une division sexuelle du travail propre à ce modèle de production (séparant de manière sexuée le travail dit productif et celui dit reproductif) et une division internationale du travail Division Internationale du Travail ou DIT : Répartition globale de la production mondiale entre les différents pays en fonction de leurs avantages comparatifs. Ainsi, jusque dans les années 70, le Tiers-monde fournissait essentiellement des matières premières qui étaient transformées dans les anciennes métropoles coloniales. Par la suite, une partie des nations en développement se sont industrialisées à leur tour dans des biens manufacturés de consommation courante. Les pays avancés se sont tournés vers les produits et les services de plus haute technologie.
(En anglais : division of labor)
caractérisée par la production des matières premières par une main-d’œuvre travaillant sous des formes d’exploitation extrêmes dans les pays colonisés et le développement des industries manufacturières d’une grande partie des pays coloniaux [3].

La surexploitation et les crimes coloniaux s’accompagneront également de la construction d’idéologies racistes et d’une propagande massive sur les hiérarchies raciales, justifiant les conquêtes par le devoir des « races supérieures, de civiliser les races inférieures ». Les classes laborieuses seront ainsi hiérarchisées selon leur couleur de peau et leur origine territoriale (nationale, avec la création des États-nations).

Cette division internationale du travail et la formation de catégories de personnes pour lesquelles le principe d’humanité est fort différent est à l’ordre du jour. C’est ainsi que le monde est divisé selon une population qui peut voyager librement et une autre à laquelle on impose l’obtention d’un visa (dont les conditions pour l’obtention sont fortement classistes [4]) ; des déplacements migratoires de travail appelés « expatriation » pour les unes (impliquant la plupart du temps une requalification professionnelle) et nommés « migration économique » pour les autres (majoritairement déqualifiés sur le plan professionnel).

En effet, bien que tou.te.s les travailleur.euse.s du monde subissent l’exploitation capitaliste, tous et toutes ne sont pas traité.e.s de la même manière : les oppressions racistes et sexistes sont le résultat de rapports très complexes entre opprimé.e.s-oppresseur.e.s.

Nous analyserons ici le continuum historique entre les formes d’exploitation des travailleur.euse.s des communautés colonisées, provoquant une véritable crise de la reproduction de la vie, et son actualité avec ces « vies jetables » [5] ainsi que la façon dont la colonisation à également fabriqué une division sexuelle du travail (spécifique au capitalisme) qui n’aura pas le même impact sur les femmes colonisées que sur les femmes originaires des puissances coloniales.

 Du travail esclave au travail « libre »

La première grande vague de colonisation (Amérique. 15e siècle) a impliqué un pillage organisé par les puissances coloniales [6] des ressources naturelles et du travail indigène, provoquant des décès par épuisement, maltraitance et des assassinats collectifs. Afin de chercher une adéquation entre des valeurs morales « apportées par la civilisation blanche » aux colonies et cette réalité mortifère, la « civilisation » européenne se chargera de construire de nouvelles catégories de personnes auxquelles on ne reconnaîtra pas le principe d’humanité. Ces personnes ne méritaient pas d’être considérées comme des êtres humains.

Ce n’est que devant une chute démographique extraordinaire des populations indigènes, que les puissances coloniales s’accordent pour reconnaître la qualité d’« hommes », « pourvus d’une âme », aux populations colonisées du continent américain. L’esclavage des indigènes est alors interdit tandis que se développent d’autres formes de travail forcé [7]. Le pillage des ressources naturelles implique cependant des pratiques extensives de culture et d’exploitation des matières premières, requérant une masse importante de travail. Les puissances coloniales vont alors attribuer le travail d’esclave aux populations noires. Des Africain.e.s à qui la qualité d’humain.e ne sera pas reconnue.

Si les indigènes d’Amérique sont libéré.e.s de l’esclavage, ce n’est pas par humanisme ou par la reconnaissance d’une quelconque intelligence dont les Noir.e.s seraient dépourvu.e.s. Il s’agit d’une stratégie économique qui consiste à remplacer une main-d’œuvre indigène décimée par un commerce triangulaire faisant de la marchandisation des personnes (force de travail Force de travail Capacité qu’a tout être humain de travailler. Dans le capitalisme, c’est la force de travail qui est achetée par les détenteurs de capitaux, non le travail lui-même, en échange d’un salaire. Elle devient une marchandise.
(en anglais : labor force)
) une nouvelle source indispensable à l’accumulation Accumulation Processus consistant à réinvestir les profits réalisés dans l’année dans l’agrandissement des capacités de production, de sorte à engendrer des bénéfices plus importants à l’avenir.
(en anglais : accumulation)
primitive du capital Capital .

La traite des esclaves du continent africain, à une époque où ce territoire n’était pas encore colonisé, fragilise cette population, ce qui facilitera par la suite la conquête coloniale de ce territoire au 19e siècle, dans un contexte bien différent de celui de la première vague de colonisation [8].

La conquête du continent africain et de l’Asie du Sud-est au 19e siècle se réalise dans un contexte de forte rivalité entre les puissances européennes en quête de nouveaux territoires leur garantissant des matières premières et une main-d’œuvre suffisante pour développer leurs industries [9]. Selon Saïd Bouamama, le « premier âge du pillage » de l’Afrique subsaharienne, a eu lieu du 16e au 19e siècle et correspond à la traite des esclaves. Le second moment du pillage de ce continent correspond au pillage des matières premières [10] de ce continent et au travail forcé caractéristique du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle.

La traite des esclaves étant interdite à partir de 1805, elle fut remplacée par le travail forcé des indigènes. Plutôt que d’exporter la main-d’œuvre vers d’autres territoires du monde, les puissances coloniales vont exploiter la main-d’œuvre africaine sur place.

L’abolition de l’esclavage vise à interdire l’appropriation des indigènes et leur mise en vente par des marchands d’esclaves. Dorénavant, ce sont les pouvoirs coloniaux et les sociétés concessionnaires qui disposent du travail forcé des indigènes [11]. Ces dernier.e.s sont parfaitement conscient.e.s de cette situation, comme en témoigne dans son rapport un administrateur territorial du Kwilu en 1919 : « les indigènes se trouvant sur la concession des HCB croient avoir été vendus par l’État aux Anglais » [12].

Étant donné que les pouvoirs coloniaux s’attribuent la propriété des terres coloniales (qu’ils partagent avec les concessionnaires), les indigènes « libres », ne seront pas seulement soumis.e.s au travail forcé, mais, ils et elles seront aussi souvent chassé.e.s de leurs territoires et repoussé.e.s vers des espaces plus restreints et des terres difficilement exploitables. Ils et elles se retrouvent ainsi dépossédé.e.s de leurs moyens de survie (c’est-à-dire, de leurs moyens de production).

De plus, les administrations coloniales introduisent une fiscalité à destination des indigènes. Elles imposent par là des rapports marchands monétaires. Pour parvenir à payer ces impôts, les indigènes doivent vendre une partie de ce qui est produit sur leur territoire (ce qui jusque-là n’était pas un travail pour produire une marchandise Marchandise Tout bien ou service qui peut être acheté et vendu (sur un marché).
(en anglais : commodity ou good)
, [13] mais pour subvenir à leurs propres besoins) et/ou effectuer des travaux mal rémunérés pour des tiers afin de pouvoir se procurer de l’argent [14]. Voilà comment les populations africaines ou asiatiques, considérées comme étant peu enclines au travail (argument largement propagé pour justifier le système de travail forcé), sont transformées par la force en salarié.e.s.

Le Congo de Léopold II. Une guerre de conquête contre l’esclavagisme ?

À la fin du 19e siècle, les puissances coloniales se lancent dans une course acharnée pour conquérir le territoire africain. Léopold II est un précurseur dans cette course. En 1879, il fonde le comité d’étude pour le Haut-Congo (une société dont il est l’actionnaire Actionnaire Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
principal) et engage l’explorateur Henry Stanley [15] pour l’envoyer dans la région en ayant pour mission de faire signer des actes de cession des territoires aux chefs locaux. Ces derniers vont apposer une croix aux bas des contrats dont ils ignorent le contenu. En même temps, Léopold II cherche à s’ingérer dans les rivalités coloniales en se prononçant pour le libre commerce au nom de la lutte contre l’esclavage. C’est ainsi que lors de la Conférence de Berlin (1885) [16], il parvient à négocier la reconnaissance d’un nouvel État, « l’État indépendant du Congo » (EIC), propriété personnelle du Roi des Belges. À défaut de pouvoir s’approprier cette région, les puissances européennes finissent par reconnaitre comme légitime la privatisation d’environ deux millions et demi de kilomètres carrés par Léopold II [17].

Comme le souligne Saïd Bouamama, l’acte général de la conférence de Berlin inaugure un nouveau type de colonisation caractérisé par la sous-traitance Sous-traitance Segment amont de la filière de la production qui livre systématiquement à une même compagnie donneuse d’ordre et soumise à cette dernière en matière de détermination des prix, de la quantité et de la qualité fournie, ainsi que des délais de livraison.
(en anglais : subcontracting)
à un tiers des intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
de toutes les puissances coloniales et de leurs capitaux, qui pourront avoir libre accès au Congo. Le Roi des Belges devient un sous-traitant des autres puissances (y compris des États-Unis) qui pourront investir dans l’exploitation du sol et du travail des Africain.e.s [18].

Mais le territoire accordé par les puissances coloniales à Léopold II n’est pas vierge. Dans le Haut-Congo (qui représente un tiers de ce territoire) se trouve une civilisation arabo-swahilie dont les dirigeants ne sont pas prêts à abandonner le pouvoir. Or, pour avaliser l’existence effective de l’EIC, l’acte de Berlin impose l’occupation de l’ensemble du territoire. Il faut donc en finir avec cette population qui résiste aux sociétés privées auxquelles Léopold II a octroyé la concession du territoire. Les affrontements donnent lieu à la « guerre de conquête (1892-1894) » au bout de laquelle tout le territoire (délimité par les négociations entre les puissances coloniales à Berlin) se retrouve effectivement sous l’autorité de l’EIC.

Cette guerre de conquête est accompagnée d’une campagne de propagande présentant l’EIC comme libérateur des esclaves du Haut-Congo (dirigée notamment par des marchands d’esclaves et d’ivoire) alors que l’EIC et les sociétés concessionnaires imposent la collecte de ressources, comme le caoutchouc et l’ivoire, les cultures, les travaux de construction et l’entretien des infrastructures coloniales. Un système d’exploitation est mis en place dans les régions riches en caoutchouc, il impose des quotas de livraison colossaux et établit des punitions meurtrières pour toute livraison inférieure aux quotas exigés. Tout acte de résistance ou de passivité est fortement réprimé par des campagnes militaires, des exécutions sommaires, des viols, la prise en otage de femmes et toutes sortes de châtiments corporels [19].

Selon certaines estimations 10 millions de personnes auraient disparu entre 1880 et 1920 [20]. La population locale aurait donc été réduite de moitié. Devant le scandale mondial provoqué par la multiplication des dénonciations des missionnaires et des journalistes qui publient des photos d’enfants aux mains coupées [21], la Belgique négocie avec Léopold II l’annexion du Congo en 1908.

Mais, la reprise du territoire par l’État belge ne fait que renforcer les concessions des terres aux grandes entreprises ainsi que l’aide au recrutement de main-d’œuvre, renforçant leur influence dans la colonie.

Il faut souligner que les crimes du colonialisme ne sont pas l’apanage de Léopold II. La colonisation anglaise a quasiment exterminé les populations australiennes. Dans les colonies françaises, durant les années 1930, les atrocités du régime de travail forcé imposé par les concessionnaires aux populations indigènes sont dénoncées par des journalistes et d’anciens fonctionnaires des colonies, tel Félicien Challaye, comme « pire que l’esclavage sous certains rapports » [22].

Légende : Au Kenya, comme en Afrique du Sud durant la Seconde guerre des Boers (1899 -1902), l’armée britannique crée des camps de concentration où des milliers des personnes sont torturées, violées, assassinées.

Légende : Femmes enchainées pour construire des routes pour la puissance coloniale allemande en Tanzanie.

 La production de nouvelles catégories raciales et sociales

Afin de tirer un profit maximal du travail humain et des ressources naturelles, les puissances coloniales s’appuient sur des catégories racistes pour construire des régimes juridiques différents pour les blancs et pour les indigènes. Que ce soit dans les colonies françaises (par le code de l’indigénat), belges (par les infractions spécifiques aux indigènes), britanniques, portugaises, allemandes ou italiennes, des réglementations concernant des obligations spécifiques aux populations indigènes sont établies, notamment en ce qui concerne les formes du travail forcé. L’espace physique (et donc la mobilité), les formes de travail, les systèmes de taxation et les salaires sont ainsi différenciés.

Par ces constructions juridiques, les États coloniaux octroient des droits et des obligations différenciées, produisant ainsi des « colons », collectivement constitués en groupe privilégié [23] vis-à-vis des « colonisé.e.s » (ne jouissant pas des mêmes droits, dans une société où ceux-ci ont été historiquement conçus pour exclure). Ces constructions faites sur des bases arbitraires renforcent le regard « naturaliste » qui, selon la science colonialiste de l’époque, est à l’origine de la supposée différence des races. Tout en renforçant le racisme, elle redouble la violence à l’encontre des colonisé.e.s.

Les inégalités ainsi construites sur base de la « Science » [24] et de la « Justice blanche » expliquent par exemple qu’au Congo belge durant les années 1950, un ouvrier noir perçoit autour de 9.000 francs belges par an, alors qu’un salarié blanc gagne en moyenne 400.000 francs [25]. Ouvriers belges et ouvriers congolais ne jouissent pas des mêmes droits concernant leur mobilité (il leur est interdit d’accéder à certains espaces réservés aux Blanc.he.s), les impôts (l’État belge introduit en 1910 un impôt exclusivement destiné aux indigènes), le travail (le travail forcé est réservé aux Noir.e.s), le salaire et, finalement, la vie.

Les puissances coloniales ne se chargent pas seulement d’établir une division raciale entre travailleur.euse.s. Elles établissent également de nouvelles divisions sociales (différentes de celles existantes) au sein des peuples colonisés. Ainsi, au Congo belge, le système d’immatriculation [26] crée une élite d’indigènes non soumise aux infractions spéciales. Les soldats dont « l’assiduité à la Force publique n’est plus à démontrer », les enfants métis se trouvant sous la tutelle de l’État et les travailleurs stables des sociétés concessionnaires obtiennent une immatriculation automatique. Pour obtenir une immatriculation sur demande, les critères sont clairement sexistes et classistes : le requérant est d’abord un homme (s’il l’obtient, son épouse peut ensuite la demander). Il doit notamment prouver qu’il dispose d’un diplôme ainsi que de revenus « suffisants ».

L’immatriculation est ainsi exclusivement accessible à une élite en formation dont le statut, accordé par les puissances coloniales, est le plus élevé parmi les statuts accordés à la population congolaise. Contrairement aux autres indigènes, cette nouvelle élite peut être assimilée aux Blanc.he.s devant la loi et elle a accès aux espaces réservés à ces dernier.e.s (comme les hôpitaux, les quartiers des colons ou les écoles destinées aux Européens).

En outre, l’État colonial forme une nouvelle catégorie de travailleurs congolais : les « auxiliaires ». Ils sont soldats, infirmiers, auxiliaires médicaux, clercs, moniteurs scolaires… Confinés à des rôles subalternes, les auxiliaires sont rémunérés de 1 à 12 fois moins que les Européens, même lorsque la fonction exercée est équivalente à celle d’un Blanc [27]. Malgré ces inégalités vis-à-vis des Blancs, ils ont plus de droits et sont mieux rémunérés que d’autres indigènes.

Cette catégorie de personnes colonisées ayant un certain accès aux espaces réservés aux Blanc.he.s est progressivement élargie. En 1948, l’État colonial belge crée la « carte de mérite civique et évolué », concédée aux hommes congolais qui parviennent à prouver leur « désir sincère d’atteindre un degré plus avancé de civilisation ». La preuve de leur désir sincère consiste notamment à montrer qu’ils disposent de « revenus suffisants », qu’ils sont monogames, qu’ils n’ont pas subi une peine d’emprisonnement supérieure à six mois durant les cinq dernières années et qu’ils savent lire, écrire et calculer. Les épouses d’hommes ayant obtenu cette carte peuvent par la suite en faire la demande à condition de remplir certains critères (décrits plus loin).

Les puissances coloniales créent ainsi des différenciations de classes et de groupes sociaux sur le modèle de leurs États capitalistes, tout en prenant la précaution de faire en sorte que l’« assimilation » des colonisé.e.s ne soit jamais tout à fait aboutie.

Dans ce même mouvement, la violence organisée par les puissances coloniales rend la hiérarchie désirable par tous et par toutes. L’image du mâle blanc et fortuné s’impose ainsi comme une identité désirable. Au fond, il s’agit du désir d’être exempté de cette violence. Or, dans une société hiérarchisée, être exempt de la violence revient à monter dans la hiérarchie, c’est-à-dire, prendre une place « dominante ». Voilà comment le capitalisme colonial divise la classe travailleuse mondiale en construisant des hiérarchies désirables, pour faire des dominé.e.s-dominant.e.s.

 La division raciale et sexuelle

Les pouvoirs coloniaux introduisent également une division sexuelle du travail, propre au modèle de production capitaliste. Cette division sexuelle du travail consiste à séparer le travail dit « productif » et le travail dit de « reproduction sociale » (généralement appelé travail domestique) [28]. Les femmes seront confinées à ce dernier type de travail non rémunéré, invisibilisé et subordonné au travail productif Travail productif Travail censé apporter une richesse supplémentaire à l’économie. Pour l’économie traditionnelle, tout travail marchand est productif, tout travail non marchand ne l’est pas. Pour le marxisme, il faut faire une distinction entre, d’une part, les opérations de circulation et de production et, d’autre part, les productions de marchandises et de services. Selon celui-ci, le travail de circulation (échanges de marchandises, de capital et de monnaie) ne crée pas de richesse supplémentaire. De même, le travail de services (comme l’éducation, les soins, la comptabilité, le transport des personnes, le tourisme…). Seul le travail producteur de marchandises est réellement productif sous le capitalisme.
(en anglais : productive work)
 [29].

En Europe, au 19e siècle, le modèle de la famille nucléaire s’impose comme vertu dans les principales puissances industrielles. Le travail des femmes en dehors de la sphère domestique est présenté comme source de dysfonctionnement et de pathologies sociales. Le travail des ouvrières des ateliers est particulièrement ciblé comme facteur d’immoralité, de dénatalité et de décadence sociale. Le travail salarié des femmes (mais aussi des enfants) devient une problématique d’ordre politique. En effet, à l’époque, des femmes, des hommes et des enfants travaillent dans les mines et dans les usines (avec des salaires différents), dans des conditions déplorables provoquant une forte diminution de l’espérance de vie [30]. Selon l’historienne Silvia Federici, cette situation devient problématique pour les employeurs, en manque de main-d’œuvre, lors du passage de l’industrie légère (basée sur le textile) à l’industrie lourde (basée sur le charbon et l’acier). Les nouvelles industries ont besoin d’une main-d’œuvre, non seulement plus disciplinée et nombreuse, mais aussi plus robuste, et en meilleure santé. C’est dans ce contexte que, sous des prétextes humanitaires, s’impose le modèle de la famille nucléaire avec au centre, la figure du père, pourvoyeur de revenus, et de la mère, ménagère et pourvoyeuse des soins dans le foyer, elle est chargée d’accomplir le travail de reproduction de la force du travail, c’est-à-dire, des travailleurs soignés, nourris et éduqués, capables d’accomplir un travail (salarié) plus efficace au profit des employeurs [31].

Dans les colonies, les puissances coloniales seront moins soucieuses de la reproduction de la force de travail (et donc de la vie) des indigènes. Femmes et enfants ne sont pas toujours exempté.e.s du travail forcé. En 1946, Félicien Challaye dénonce la réquisition des femmes et des enfants (malgré les réglementations supprimant le travail forcé pour ces catégories) pour travailler pour le compte des colons lorsque la main-d’œuvre masculine fait défaut comme ce fut le cas à Madagascar, ou en Côte d’Ivoire. En Nouvelle-Calédonie, la France a recours à des travailleurs et des travailleuses d’Indochine et ceci malgré le fait que le travail obligatoire y ait été aboli [32].

La plupart des travailleuses noires sont contraintes au travail domestique [33]. Avec un statut à peine différent de l’esclavage, les « ménagères » sont souvent des filles qu’on offre à un colon ou à une famille de colons pour s’occuper de toutes les tâches nécessaires à la reproduction de leurs vies. Prises dans un rapport de dépendance personnelle à l’égard du maître, elles sont cuisinières, nourrices, nettoyeuses, « des bonnes à tout faire ». Assignées à la reproduction de la vie des Blanc.he.s, les femmes colonisées sont curieusement (re)présentées comme moralement inférieures aux Blanches pour s’occuper des tâches ménagères dans leurs propres foyers.

Au Congo belge, les épouses des Congolais ayant obtenu « la carte de mérite civique et évolué » doivent présenter une attestation de formation familiale et ménagère délivrée par la direction d’un Foyer social [34] afin d’accéder au même statut que leurs maris. Les autorités coloniales procèdent à une enquête au domicile des requérantes [35] pour vérifier le « respect des règles d’hygiène » et des « codes de conduite européens ».

Contrairement aux porteuses de cette carte de « mérite civique et évolué », appartenant à une élite congolaise, les « ménagères » sont souvent des filles réquisitionnées ou consenties par un chef, un agent colonial, un.e proche ou un.e membre de sa famille, à un homme blanc. Ce dernier jouit de ses services « ménagers » (y compris sexuels). Des milliers d’enfants né.e.s de ces viols [36], sont alors soit enlevés à leurs mères sur l’instruction de l’État colonial pour être placé.e.s sous l’autorité des missions religieuses, soit abandonné.e.s par leurs géniteurs blancs dans la rue ou chez des missionnaires, sans que les mères puissent s’y opposer [37].

En effet, le métissage embarrasse les autorités coloniales qui cherchent à soustraire les enfants des Noires en les plaçant dans des orphelinats exclusivement réservés aux enfants métis.se.s où l’éducation offerte se trouve à mi-chemin entre celle dispensée aux Blanc.he.s et celles délivrées aux orphelin.e.s noir.e.s. Les métis.ses sont physiquement et psychologiquement séparé.e.s des Noir.e.s. L’autorité coloniale s’arroge la tutelle sur ces enfants lorsqu’ils ne sont pas reconnus par un parent blanc tout en estimant que les femmes noires ne sont pas capables de soigner correctement un enfant ayant du sang blanc dans les veines [38]. Alors même que beaucoup de ces femmes se chargent d’élever les enfants blancs des colons.

À la veille de l’indépendance du Congo, des congrès sont organisés en métropole pour discuter du destin des métis.ses. Les religieuses parviennent à convaincre l’État belge que ces enfants portant « du sang blanc » doivent profiter des « bienfaits de la civilisation ». C’est ainsi qu’au moment de l’indépendance, des milliers d’enfants métis.se.s sont rapatrié.e.s de force par les autorités belges du Congo et du Ruanda-Urundi vers la Belgique pour être placé.e.s sous tutelle. En réalité, la plupart de ces enfants ne bénéficieront jamais d’une tutelle et la nationalité belge leur sera retirée. Certain.e.s deviendront apatrides. Ce n’est que grâce à la ténacité de la lutte de certain.e.s de ces enfants devenu.e.s adultes, que le Parlement flamand en 2015, puis, le Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, en 2017, ont dû reconnaître la ségrégation subie par les enfants métis.se.s ainsi que leur enlèvement forcé. Car, bien que les autorités coloniales comptaient sur l’autorisation des mères, celle-ci n’avait pu être obtenue que par l’envoi de la Force publique et sous la menace [39].

 Des indépendances sans décolonisation

Comme le soulève le sociologue nigérien Peter Ekeh, il ne faut pas confondre colonisation et colonialisme. La colonisation fait allusion à une période déterminée. Le colonialisme est un processus qui va au-delà de la période coloniale et qui indique la perpétuation des formations sociales issues de cette période [40].

Que ce soit dans les anciennes colonies d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Afrique ou d’Asie du Sud-est, l’accès à la souveraineté politique n’a pas impliqué un processus décolonial tant que subsiste une subordination économique et, en conséquence, d’autres assujettissements (sociaux, culturels, politiques…) [41].

Le processus d’indépendance [42] des pays africains et du Sud-est asiatique (qui démarre dans les années 1950), suivi par l’émergence des pays asiatiques et la récession Récession Crise économique, c’est-à-dire baisse du produit intérieur brut durant plusieurs mois au moins.
(en anglais : recession ou crisis)
économique des puissances européennes et états-uniennes (années 1970), impliquent une reconfiguration des rapports Nord-Sud. La mobilité de la production des biens et des services provoque une internationalisation de la production des manufactures. Or, dans la plupart des anciennes colonies, ce processus n’implique pas une rupture par rapport à la division internationale du travail héritée des colonisations qui continuent majoritairement de fournir des matières premières ainsi que la production de certaines technologies de pointe nécessitant une abondante main-d’œuvre bon marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
.

En effet, avec le mouvement des indépendances, les puissances mondiales cherchent de nouvelles stratégies pour limiter la généralisation du développement industriel afin de garder le monopole sur la production des technologies de pointe tout en obtenant des matières premières bon marché pour leurs productions dans les pays du Sud [43]. Le maintien de cette division internationale du travail sera assuré, entre autres, par l’élaboration d’un modèle de développement que les pays classés comme « sous-développés » ou « en voie de développement » devront suivre pour répondre aux exigences des institutions financières internationales (Banque mondiale Banque mondiale Institution intergouvernementale créée à la conférence de Bretton Woods (1944) pour aider à la reconstruction des pays dévastés par la deuxième guerre mondiale. Forte du capital souscrit par ses membres, la Banque mondiale a désormais pour objectif de financer des projets de développement au sein des pays moins avancés en jouant le rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et les pays détenteurs de capitaux. Elle se compose de trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale pour le développement (AID) et la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’agit que lorsque le FMI est parvenu à imposer ses orientations politiques et économiques aux pays demandeurs.
(En anglais : World Bank)
et FMI FMI Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
), qui à travers l’octroi de crédits parviendront à influencer les politiques internationales.

Au nom d’une « mission de développement », les institutions financières internationales désignent un modèle économique destiné aux pays dits « en voie de développement » consistant à assurer la continuité de la division internationale du travail telle qu’elle fut imposée par la colonisation. C’est-à-dire, un modèle où chaque pays se spécialise dans la production de certains biens pour l’exportation : au Nord, des manufactures et des technologies de pointe ; au Sud, des matières premières, des manufactures « vieillissantes » et/ou nécessitant une main-d’œuvre abondante et bon marché.

En effet, si durant les colonisations la « mission civilisatrice des races supérieures » vise la destruction des civilisations pour imposer un « modèle supérieur d’évolution » (le modèle capitaliste), dans le néocolonialisme cette mission est remplacée par celle consistant à amener le « développement » aux « peuples sous-développés ».

Enfin, comme résume la politologue Françoise Vergès, les puissances coloniales ont eu en héritage un partage du monde qu’elles ont imposé par le fouet, la torture, la guerre, la loi, mais aussi la science, la littérature, le cinéma … moyens par lesquels, la colonialité [44] a institué « une politique des vies jetables » [45].

 Crise de reproduction sociale dans les anciennes colonies et migrations

Si les pillages des ressources naturelles et du travail dans les colonies ont contribué à forger la fortune d’une minorité d’Européens (indispensable à l’émergence et au développement du capitalisme industriel), le capitalisme ne repose pas exclusivement sur l’accumulation du capital (phase nécessaire à son développement), mais surtout sur « sa reproduction », c’est-à-dire, l’investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
permanent du capital en vue de son accroissement. Cette reproduction du capital est illimitée. Cela implique une économie en croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
permanente, c’est-à-dire une augmentation constante de la production et de la vente de marchandises (objets ou services). Dans la situation contraire, on parle de crise économique.

Pour produire des marchandises de manière croissante, il faut toujours plus de ressources naturelles et de travail. Mais pour reproduire du capital, il ne suffit pas de produire des marchandises. Il faut surtout pouvoir les vendre [46]. La reproduction du capital et donc, la survie du capitalisme nécessite l’ouverture de nouveaux débouchés et de nouveaux territoires d’investissement [47]. Ce qui implique un processus d’extension progressive du capitalisme à l’échelle mondiale [48].

Or, même à l’échelle mondiale, le territoire et les ressources naturelles nécessaires à la production illimitée des marchandises ne sont pas infinies. Cette rareté relative (à ce mode de production/consommation) conduit à de nouvelles phases de concentration du capital qui impliquent la dépossession d’une bonne partie de la population mondiale.

Depuis le ralentissement économique des années 1970, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de concentration du capital entre les mains de quelques-uns, impliquant une dépossession des autres. Dans les termes de David Harvey, il s’agit d’un nouveau cycle d’« accumulation du capital par dépossession  » [49].
Ce processus de dépossession touche le plus fortement les populations du Sud et se concrétise notamment par :
 L’accaparement de territoires habités par des communautés paysannes et autochtones provoquant le déplacement des populations et la destruction de leurs communautés (et donc, de leurs modes de production/consommation). Repoussée dans des territoires de plus en plus restreints, loin des sources d’eau, où les terres sont peu fertiles et le domaine de chasse est réduit, cette population est dépossédée de ses moyens matériels d’existence, c’est-à-dire autant de ses moyens de production que de son mode de coopération et d’organisation communautaires. Ce processus provoque une vague de migration vers des villages ou des villes où la plupart du temps, cette population devient un réservoir de main-d’œuvre pour l’exploitation agricole des matières premières, pour les ateliers de manufacture, le service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
touristique ou le marché informel.

Ce processus de privatisation des communs s’est fortement accentué depuis les années 1990, dans le contexte de la « Révolution verte ». Celle-ci est caractérisée par un développement accéléré de technologies agricoles (OGM, engrais, herbicides, pesticides, systèmes d’irrigation, etc.) et extractives (extraction minière à grande échelle et à ciel ouvert, exploitation des hydrocarbures non conventionnels comme le fracking ou les sables bitumineux, etc.) permettant une exploitation extensive et intensive des ressources naturelles et donc, aussi, des territoires qui autrefois étaient considérés comme non exploitables. Cette « révolution verte » n’implique pas exclusivement l’accaparement des terres (due au caractère extensif de l’exploitation), elle produit également de véritables catastrophes environnementales et sanitaires provoquant de sérieux dommages aux habitant.e.s proches des projets agricoles et d’extraction (par la contamination des eaux, de l’air et de la terre).

Face à cette attaque directe contre la vie, les résistances sont très nombreuses et s’expriment par la confrontation directe, les occupations des territoires pour empêcher l’installation d’un projet extractiviste ou le boycott de la production. La répression de cette résistance est tout aussi importante. Elle donne lieu parfois, comme c’est le cas pour une grande partie des pays d’Amérique latine, à la formation de groupes paramilitaires et aux déploiements militaires qui appliquent une violence extrême sur des populations composées essentiellement de femmes, de personnes âgées et d’enfants, car dans la plupart des cas, les hommes ont déjà émigré pour trouver un emploi en ville.

 L’intégration croissante des populations dans le système financier à travers le crédit, notamment par la généralisation des microcrédits pour les populations pauvres du Sud. Il est intéressant de souligner que les femmes représentent plus de 80% des personnes endettées par les microcrédits dont les taux d’intérêt Taux d’intérêt Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
oscillent entre 25% et 50% [50] ! La simplification de l’accès au crédit permet de maintenir un niveau de consommation suffisant (créant de nouveaux débouchés pour les marchandises : essentiels pour limiter la crise de surproduction Surproduction Situation où la production excède la consommation ou encore où les capacités de production dépassent largement ce qui peut être acheté par les consommateurs ou clients (on parle alors aussi de surcapacités).
(en anglais : overproduction)
propre à un système capitaliste) tout en contractant le revenu des travailleuses. Or, étant donné les taux pratiqués, ce système plonge la plupart des clientes dans le surendettement. Cette situation les amène à accepter des emplois de plus en plus précaires, flexibles et/ou informels et à doubler leur journée de travail pour rembourser leurs dettes.

 La localisation d’une partie de la production des multinationales dans les pays du Sud afin d’augmenter leur part du marché mondial et/ou de minimiser leurs coûts (salaires bas, droits des travailleur.euse.s réduits, matières premières à proximité, politiques fiscales…).

Cette internationalisation de la production est caractérisée par la création de filiales spécialisées dans la production d’un élément du produit dont le montage final est souvent réalisé par la maison mère (comme c’est le cas notamment pour les ateliers de sous-traitance de l’habillement, de l’automobile ou de l’électronique). Cette organisation des activités des multinationales, caractérisée par une fragmentation territoriale du processus de production implique la création de zones industrielles où l’on produit des marchandises destinées exclusivement à l’exportation. Dans ces économies se forment alors des zones franches, libres de toute régulation, affranchies du droit du travail, dans lesquelles une forte main-d’œuvre féminine est employée dans des conditions déplorables avec des salaires en dessous du minimum vital.

 L’imposition des programmes d’ajustement structurel (PAS) par le Fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
Monétaire International et la Banque Mondiale ainsi que les traités de libre-échange
, poussent à la privatisation des services publics, des politiques d’austérité Austérité Période de vaches maigres. On appelle politique d’austérité un ensemble de mesures qui visent à réduire le pouvoir d’achat de la population.
(en anglais : austerity)
et l’ouverture des marchés (par la réduction des barrières douanières et autres réglementations), sont devenues de véritables instruments de dépossession d’une population qui se voit de plus en plus escroquée de ses revenus. Les PAS retombent lourdement sur les femmes qui, chargées du travail de reproduction sociale, doivent redoubler d’efforts pour s’occuper des enfants, des personnes malades ou en état de dépendance face au débordement ou à l’absence des services publics.

 Depuis les années 1990, les interventions militaires des puissances occidentales dans les pays du Sud se multiplient. Souvent présentées comme « humanitaires », ces guerres contre « le terrorisme » ou « le narcotrafic [51] » ne sont jamais dépourvues d’enjeux géostratégiques.
La guerre est un extraordinaire outil d’accumulation par dépossession : la population se voit obligée de quitter son territoire. De plus, dépossédée de tous ses biens, elle devient une main-d’œuvre docile pour l’expansion du marché mondial de l’emploi précaire. Les femmes et les enfants courent un risque élevé de violences sexuelles, une arme de guerre privilégiée, toujours d’actualité. La banalisation de ces actes est fortement encouragée par les procédures internationales : lorsqu’un membre des forces armées commet un acte illicite dans le pays d’intervention, le procès doit se dérouler dans le pays de l’agresseur. La situation de guerre et la condition socio-économique empêchent la victime de se déplacer pour assister au procès de son/ses agresseur(s).

Ce processus de dépossession mortifère précarise les conditions de vie d’une bonne partie de la population au Nord. Au Sud, il s’attaque directement à la vie de millions de personnes. Plusieurs auteures comme Silvia Federici, Cinzia Arruzza, Nancy Fraser ou Tithi Bhattacharya, affirment que dans ce contexte, les populations les plus pauvres des pays du Sud sont en train de vivre une véritable crise de reproduction sociale [52]. Cette situation provoque un déplacement massif des populations. Il s’agit principalement des migrations rurales (de la campagne vers les villes) provoquées notamment par l’extension territoriale du capitalisme, mais aussi par les catastrophes climatiques [53] intrinsèques à ce modèle de production/consommation. C’est ainsi qu’en 2014, pour la première fois de notre histoire, la population urbaine a dépassé la population rurale [54].

Les migrations internationales des personnes originaires des pays du Sud ont également crû. La plupart de celles-ci correspondent à des migrations Sud-Sud (97 millions en 2017), suivies par les migrations Sud-Nord (89 millions) [55]. De plus en plus de femmes voyagent seules pour trouver un emploi qui, comme pour leurs aïeules, consiste la plupart du temps à offrir des services de soins (accompagnatrice, nounou, nettoyeuse « domestique »…) et/ou sexuels.
Les quatre grands groupes de migrants
en millions (2017)

Source : « International Migration Report 2017 », Division de la Population, Département des Affaires économiques et sociales (DAES), Nations unies.

 Des frontières pour assurer la division internationale du travail

En Europe occidentale, depuis la fin des guerres napoléoniennes (1815) jusqu’à la Première Guerre mondiale, les frontières sont relativement ouvertes aux déplacements transfrontaliers. Si cette ouverture est relative, c’est premièrement parce qu’elle ne concerne pas l’immigration des populations des régions colonisées, et deuxièmement, parce que ce droit de circuler n’est pas pareil pour tou.te.s les Européens.ne.s. Même à l’intérieur des frontières nationales, les moins fortuné.e.s sont menacé.e.s par le délit de vagabondage [56] lorsqu’ils/elles traversent une frontière sans l’autorisation de leurs employeurs [57].

Les passeports et la mise en œuvre d’autres conditionnalités à la circulation en Europe trouvent leur origine après la Première Guerre mondiale [58]. Mais c’est depuis les années 1970 que la surveillance des migrations se développe considérablement. Ce contrôle vise notamment un durcissement continu de la séparation avec le Sud. En effet, le contrôle migratoire ne sera pas le même pour toutes les régions du monde : l’obligation Obligation Emprunt à long terme émis par une entreprise ou des pouvoirs publics ; il donne droit à un revenu fixe appelé intérêt.
(en anglais : bond ou debenture).
de visa (années 1980) ne concernera que les ressortissants des pays ayant été catégorisés comme « en développement », et pour qui des contrôles migratoires seront progressivement renforcés afin d’empêcher la mobilité de ceux et de celles n’ayant pas pu accéder à ce papier (les exigences à remplir pour accéder au visa sont clairement classistes). Des centres fermés commencent à être construits afin de pouvoir les emprisonner avant leur déportation.

Selon Olivier Clochard et Nicolas Lambert, ce découpage des frontières migratoires illustre « des rapports de classe, dans la mesure où ce sont bien les décideurs des États les plus riches qui contraignent les déplacements des personnes issues des pays les plus pauvres ; en d’autres termes, les détenteurs d’un certain capital économique et social organisent des règles de circulation qui entérinent un régime de droits différenciés et assignent à résidence toute une partie de la planète, ou du moins l’obligent à se mettre en danger quand elle veut mettre en œuvre son droit à émigrer » [59]

Ce découpage des frontières migratoires est un excellent moyen pour assurer la division internationale du travail imposée par le colonialisme dès la fin du 15e siècle. En effet, il permet de maintenir une main-d’œuvre précaire suffisamment nombreuse dans les pays du Sud (pour laquelle il ne faut pas trop se soucier de la reproduction tant que l’offre d’emploi ne dépasse pas la demande [60]). En même temps, les frontières permettent un contrôle migratoire facilitant une régulation de la mobilité des personnes sur base d’intérêts économiques. Il facilite en effet un ciblage sélectif de la migration pour le recrutement de travailleur.euse.s dans les secteurs dits en pénurie de main-d’œuvre, c’est-à-dire, pour les emplois les moins attractifs des secteurs non délocalisables (souvent, relevant des « 3D-Jobs » - Dangerous, Demanding and Dirty, en français, dangereux, exigeants et sales) et/ou pour les emplois requérant une main-d’œuvre fortement qualifiée (comme dans l’informatique, la santé ou la recherche scientifique).

Actuellement en Belgique, les travailleuse.eur.s du Sud n’obtiennent le droit qu’à un permis de séjour temporaire. Si elles/ils peuvent éventuellement envisager l’acquisition de la nationalité, ce ne sera qu’à condition de prouver : sa résidence ininterrompue en Belgique depuis au moins 5 ans ; son « intégration sociale » et sa participation économique (minimum 468 jours de travail) [61]. Au regard de ces conditions, l’obtention d’un titre Titre Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
de séjour « indéterminé » ne se différencie pas dans son essence de celle de la « carte de mérite civique et évolué » délivrée par les autorités coloniales au Congo belge. De la même manière, le statut de citoyen.ne de deuxième rang de ces étranger.e.s nationalisé.e.s (à qui l’État peut retirer la nationalité en cas d’infraction à la Loi [62] et qui peinent à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications [63]) ne peut être historiquement délié de la place attribuée durant la colonisation aux « auxiliaires » du Congo belge.

 Le capitalisme racial et patriarcal

Le remplacement de l’intitulé du portefeuille Portefeuille Ensemble de titres détenus par un investisseur, normalement comme placement.
(en anglais : portfolio).
du commissaire européen à la « Migration, aux Affaires intérieures et à la citoyenneté » par la « Protection du mode de vie européen », présenté en septembre dernier par la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen [64], illustre parfaitement le continuum historique entre les colonisations d’hier et le colonialisme d’aujourd’hui.

Au regard de l’analyse de l’histoire et du nombre de décès provoqués par des politiques migratoires mortifères qui, aujourd’hui, s’imposent au nom de la « défense du mode de vie européen », on ne peut que constater la manière dont le capitalisme racial a opéré (et opère toujours) une division mondiale entre « une humanité qui a le droit de vivre et celle qui peut mourir » [65].

Or, cette humanité qui a vraiment le droit de vivre est numériquement fort restreinte, car le capitalisme n’implique pas qu’une division internationale du travail, il implique aussi une division sociale et sexuelle du travail. Celles-ci opèrent à leur tour en divisant une humanité (masculine) qui n’a le droit de vivre que lorsqu’elle se charge, par son travail, d’assurer le profit d’un tiers et une autre humanité (féminine) qui acquiert ce droit en assumant le travail des soins indispensables à la vie des autres [66].

Voilà dépeinte une humanité très fragmentée par une intersection des oppressions spécifiques au capitalisme racial et patriarcal, rendant son dévoilement extrêmement complexe et entravant une véritable convergence des luttes. Cette convergence restera fictive tant que l’Europe et le masculin universel demeureront le centre d’analyse. C’est-à-dire, tant que le « capitalisme racial et patriarcal » ne sera pas une catégorie d’analyse pour une convergence des luttes capable de construire un véritable rapport de force pour enfin, faire rentrer le capitalisme racial et patriarcal dans le musée de l’histoire des atrocités.

 


Cet article a paru dans le Gresea Échos n°100, décembre 2019. Pour commander ce numéro, remplissez le formulaire

 


Pour citer cet article : Natalia Hirtz, "De la colonisation au colonialisme", Gresea ; février 2021, disponible à l’adresse : https://gresea.be/De-la-colonisation-au-colonialisme

Illustration : Alicia Motta Mower.

Notes

[1. David Stannard, American Holocaust : The Conquest of the New World, Oxford Press, 1992.

[2. Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens 1815- 1919, Gallimard Folio Histoire, 2009.

[3. Voir Natalia Hirtz, « Le sauvage, le vagabond et la sorcière. Aux racines du capitalisme », dans Gresea Échos nº 95, Classe, sexe et race, septembre 2018.

[4. Afin d’obtenir un visa court séjour pour la Belgique (maximum 90 jours) la/le sollicitant.e doit, entre autres, présenter : des documents prouvant qu’elle dispose « des moyens de subsistance personnels suffisants ou un engagement de prise en charge » ainsi que des documents prouvant sa « volonté de quitter le territoire Schengen avant l’expiration du visa demandé ». Pour ce qui concerne la première exigence, la personne doit prouver qu’elle dispose « personnellement d’au moins 95 € par jour en cas de séjour à l’hôtel et d’au moins 45 € par jour en cas d’hébergement chez un particulier ». Ces montants de référence peuvent être revus à la hausse quand l’objet du voyage le justifie (Exemple : un traitement médical) ». En ce qui concerne le document prouvant sa « volonté de quitter le territoire Schengen », les autorités doivent examiner le profil du/de la sollicitant.e, qui doit notamment fournir des documents concernant sa « situation familiale, professionnelle, socio-économique, historique des demandes et des séjours dans l’espace Schengen » ainsi que « la situation générale du pays où vous résidez (Exemples : régions politiquement instables, taux de chômage élevé, pauvreté endémique…) ». Entre autres exigences administratives qui rendent l’obtention d’un visa très ardue (voire humiliante). Office des Étrangers : https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Guidedesprocedures/Pages/Court_Sejour/VISA%20-%20Votre%20dossier.aspx

[5. Françoise Vergès, Un féminisme décolonial, La fabrique, 2019, p.28.

[6. En 1494, le traité de Tordesillas départage l’Atlantique en deux régions de part et d’autre du 50e méridien ouest : à l’est, le Portugal, à l’ouest, l’Espagne. Il donne naissance à la fondation des deux premiers grands empires coloniaux mondiaux de l’époque. Mais ce traité ne sera pas respecté par les autres puissances européennes. La France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas se lanceront à leur tour dans la conquête. Le continent américain échappera progressivement à la domination exclusive de l’Espagne et du Portugal. Vers 1650, le continent est réparti entre ces cinq puissances. Lors de la deuxième grande vague de colonisation, s’attaquant à l’Afrique et à l’Asie du Sud-est au 19e siècle, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique se positionnent comme de grandes puissances coloniales, alors que les empires portugais et espagnol sont en déclin suite à l’indépendance de leurs colonies du continent américain.

[7. Comme dans les colonies espagnoles, où le système d’exploitation des indigènes de l’encomineda consistait à regrouper les indigènes sur un territoire dans lequel elles/ils étaient forcé.e.s de travailler dans l’agriculture ou dans les exploitations minières pour un encomendero (un colon à qui la Couronne d’Espagne avait octroyé l’usufruit de la terre et des indigènes).

[8. Les empires espagnol et portugais sont en déclin. Ils ont perdu leurs colonies du continent américain qui, dorénavant, profitent notamment aux capitaux britanniques qui se trouvent à la pointe des innovations technologiques et de la consolidation du capitalisme industriel. D’autres nouvelles puissances industrielles sont en compétition avec l’Angleterre, notamment les États-Uniens et l’Allemagne.

[9. Voir Henri Houben, « La Première Guerre coloniale mondiale », Gresea Échos nº79, septembre 2014.

[10. Saïd Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique, Investig’Action, 2018, pp. 14-15.

[11. Voir Félicien Challaye, Un livre noir du colonialisme. Souvenirs de la colonisation (publié en 1935), Réédition Nuits Rouges, 2015.

[12. Nicolai H., Le Kwilu. Étude géographique d’une région congolaise, Bruxelles, 1963. Cité dans Tony Busselen, Une histoire populaire du Congo, Éd. Aden2018, p. 49.

[13. C’est-à-dire un bien qui est produit pour être vendu.

[14. Tony Busselen, 2018, Op. Cit.

[15. Stanley est l’un des rares explorateurs de l’époque à avoir réussi à traverser la forêt équatoriale pour arriver jusqu’à Boma.

[16. Le 15 novembre 1884, une conférence est convoquée à Berlin afin d’entamer des négociations concernant le partage du bassin du Congo. La conférence finit le 26 février 1885.

[17. Henri Houben, 2014, Op. Cit.

[18. Saïd Bouamama, 2018, Op. Cit, p. 17.

[19. Voir à ce propos Arthur Conan Doyle, Le Crime du Congo belge (publié en 1906). Réédition Nuit rouges, 2005.

[20. Ce chiffre ressort de l’estimation élaborée par une commission officielle du gouvernement belge en 1919 ainsi que d’autres chercheurs comme, Jan Vansina (Adam Hochschild, Les Fantômes du Roi Léopold. Un holocauste oublié, Éd. Tallandier, 2007). D’autres études estiment la baisse de la population de 5 à 10 millions (une perte de 33% à 50%). Certain.e.s historien.ne.s, comme Jean-Luc Vellut (qui a collaboré à la construction du récit historique du Musée royal de l’Afrique centrale-Tervuren), refusent ces chiffres en argumentant qu’il est très difficile d’estimer le nombre de victimes.

[21. Les tirailleurs de la Force publique devaient couper et ramener les mains des personnes qu’ils tuaient aux officiers blancs afin de prouver qu’ils n’avaient pas gaspillé leurs cartouches à la chasse.

[22. Félicien Challaye, 2015, Op. Cit., p. 72.

[23. Du latin, le mot privilegium est composé de « privus » (privé, particulier) et de « lex » (loi). Il fait allusion à la loi faite pour un particulier.

[24. Au 19e siècle, des scientifiques commencent à employer le terme race pour construire des classifications fondées sur des traits biologiques hiérarchisés entre les êtres humains.

[25. Petillon L.A.M « Témoignage et réflexion », Bruxelles, 1967. Cité dans Tony Busselen, Op. Cit., 2018.

[26. Instauré en 1895, le système d’immatriculation permettait aux indigènes de s’inscrire aux « registres de populations civilisées » et donc d’être sous le régime du Code civil.

[28. Par travail de reproduction, on entend le travail nécessaire à produire des êtres humains (ce qui, aux yeux des capitalistes, n’est que « force de travail »). Alors que le travail productif consiste à « faire du profit » (pour d’autres). Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser, Féminisme pour les 99 %. Un manifeste, La découverte, 2019.

[29. Voir Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive (1re éd. 2004, en anglais), Entremonde. Senonevero, 2017.

[30. Pour la Belgique, voir Natalia Hirtz, « Inégalités salariales entre femmes et hommes. Un combat toujours d’actualité », dans Gresea Échos n° 97, Le salaire en Belgique : Un conflit permanent, mars 2019.

[31. Silvia Federici, « L’invention de la ménagère », (1 publication 2016) dans Federici Le capitalisme patriarcal, La Fabrique, 2019, pp 125-142.

[32. Félicien Challaye, 2015, Op. Cit., pp. 188-189.

[33. Comme soulevé par Angela Davis (pour les États-Unis), suite à l’abolition de l’esclavage, les femmes noires furent massivement dirigées vers le travail domestique, tant dans les colonies qu’ailleurs. Angela Davis, Femmes, race et classe, Éd. des femmes Antoinette Fouque, 2018.

[34. Une sorte de centre de formation de ménagère et de puériculture pour les filles et les femmes des travailleurs congolais.

[36. Le terme « viol » est plus approprié que « relation », car les ménagères n’avaient ni le droit de choisir leurs maîtres ni de s’opposer aux relations sexuelles.

[37. Voir Amandine Lauro, Coloniaux, ménagères et prostituées au Congo belge (1885-1930), Labor, 2005.

[38. Assumani Budagwa, Noirs-Blancs, Métis. La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et Ruanda-Urundi (1908-1960), 2014, Éd de l’auteur. Pour le commander : noirsblancsmetis gmail.com

[39. Véronique Laurent, Mémoires, racines, patries. Les destins des métis.se.s de Belgique. Cité dans Axelle Magazine, Hors-série, Racisme en Belgique. Solidarités de femmes, janvier-février 2018.

[40. Cité par Françoise Vergès, 2019, Op. Cit. p.27.

[41. À souligner, d’autres anciennes colonies devenues des puissances économiques n’ont pas pour autant suivi un processus décolonial. Les anciens colons sont les groupes dominants, alors que les indigènes et les noir.e.s sont majoritairement subordonnées.

[42. Il faut rappeler que le processus d’indépendance ne fut pas global. Dans les colonies françaises, par exemple, le Code Noir n’a toujours pas été aboli, et ceci malgré les multiples demandes réalisées par les autorités des colonies. Voir Zouk TV, https://cutt.ly/3e04Be4

[43. Il faut souligner que pays du « Sud » et du « Nord » réduit une diversité de réalités et de rapports de force entre les pays du Sud et du Nord. Le « Sud » dont on parle n’existe que dans un rapport au « Nord » colonial qui l’a historiquement désigné en tant que « Sud » pour mieux l’exploiter.

[44. La « colonialité du pouvoir » désigne un régime de pouvoir qui émerge à l’époque moderne avec la colonisation et l’avènement du capitalisme. Elle ne s’achève pas avec le processus d’indépendance des années 50-60, mais continue d’organiser les rapports sociaux de pouvoirs actuels dans le système monde. Voir Aníbal Quijano, « Race et colonialité du pouvoir », Mouvements n° 51, 2007.

[45. Françoise Vergès, 2019, Op.Cit, p.28.

[46. Karl Marx, Le Capital. Livre I, Éditions Sociales, 2016.

[47. Les ressources naturelles nécessaires à la production des marchandises, mais aussi le nombre de la population (nécessaire au travail et à la consommation) sont limitées à l’intérieur d’un même territoire. Dans ce sens, la mondialisation est la condition nécessaire à la survie du capitalisme.

[48. Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, 1913. https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/index.htm)

[49. David Harvey, Géographie de la domination, Les Prairies Ordinaires, 2008.

[50. Éric Toussaint, « Sortir du cercle vicieux de la dette privée illégitime au Sud de la planète. Partie 3 », CADTM, 2017. http://www.cadtm.org/Sortir-du-cercle-vicieux-de-la

[51. La « guerre contre le narcotrafic » fait allusion à la guerre de basse intensité entamée en Amérique latine depuis la signature du Plan Colombie (accord signé par ce pays et les États-Unis en 2000) et son extension au Pérou, Bolivie, Équateur, Brésil, Venezuela et Panama en 2006 ; ainsi que du Plan appelé « Mérida », lancé par les États-Unis au Mexique et dans d’autres pays d’Amérique Centrale et des Caraïbes en 2007.

[52. Silvia Federici, « Point zéro : propagation de la révolution. Salaire ménager, reproduction sociale, combat féministe », Racine de iXe, 2016 ; Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser, « Féminisme pour les 99%. Un manifeste », La découverte, 2019.

[53Une surface équivalente à la moitié de la superficie de l’Union européenne est dégradée chaque année. L’Afrique et l’Asie étant les continents les plus touchés. Joint Research Centre, « World Atlas of desertification », European Commission, 2018.

[54En 2018, 55% de la population mondiale vit dans des zones urbaines. Selon l’ONU, cette proportion devrait passer à 68% en 2050. 90 % de cette croissance se déroulera dans l’hémisphère Sud. (United Nations, « World Urbanization Prospects : The 2018 Revision », 2018, https://esa.un.org/unpd/wup/Publications/Files/WUP2018-KeyFacts.pdf).

[55. Source : « International Migration Report 2017 », Division de la Population, Département des Affaires économiques et sociales (DAES), Nations Unies.

[56. Entre le 15e et le 17e siècle, les États d’Europe occidentale sanctionnent des lois pour prescrire le vagabondage. Cette catégorie sociale sera assignée aux personnes sans ressource et sans emploi. Les pauvres sont contraints de rentrer dans des rapports salariaux : ils sont soit mis au travail dans des maisons de travail (travail forcé), soit envoyés vers les colonies d’Amérique. Voir, Silvia Federici, 2017, Op. Cit. Dans la plupart des pays d’Europe occidentale, des lois sur le délit de vagabondage seront abrogées vers la fin du 20e siècle.

[57. Emmanuel Blanchard, « Interroger l’histoire », dans Migreurop, Atlas des migrants en Europe. Approches critiques des politiques migratoires, Armand Colin, 2017, p.14.

[58. Ibid

[59. Olivier Clochard et Nicolas Lambert, « Interroger les frontières », dans Migreurop, 2017, Op. Cit., p22.

[60. Ce qui peut produire une pénurie en main-d’œuvre, favorisant, dans certaines circonstances, une augmentation des salaires et/ou une amélioration des conditions de travail au détriment du taux de profit des employeurs.

[61. Une très faible minorité parvient à obtenir la nationalité. En 2015, en Belgique, seulement 2,1% des étranger.e.s résident en Belgique ont obtenu la nationalité (dans toute l’Union européenne, cette proportion est de 2,4%), parmi celles/ceux-ci 74% étaient des ressortissant.e.s des pays hors UE (et le reste, des citoyen.ne.s européen.ne.s. Source : Eurostat, « Acquisition de nationalité dans l’UE, avril 2017 » : dans Jean-Michel Lafleur et Abdeslam Marfouk, Pourquoi l’immigration ?, Academia-L’Harmattan, 2017, p. 113.

[62. Contrairement à un.e « Belge », la Cour d’appel peut retirer la nationalité (= déchéance) d’une personne n’ayant pas obtenu la nationalité belge sur base de la nationalité de ses parents, si elle considère que la personne à « sérieusement failli à ses obligations de citoyen belge » ; si la personne est condamnée à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans sans sursis ; en cas d’annulation d’un mariage jugé par la Cour de cassation comme étant un mariage de complaisance ; ou si elle considère que la personne a acquis cette nationalité « sur base de faits présentés de manière altérée ou dissimulés ou sur base de fausses déclarations ou de documents faux ou falsifiés ». https://diplomatie.belgium.be/fr/Services/services_a_letranger/nationalite/perte_conservation_et_recouvrement/perte

[63. La proportion des femmes nées en Belgique occupant un emploi de niveau inférieur à leur qualification est d’environ 18%, contre 27% pour les femmes nées dans un pays non-OCDE. Jean-Michel Lafleur et Abdeslam Marfouk, Op.Cit. 2017, p. 62.

[64. Première femme au commandement de cette institution, Ursula von der Leyen promeut le principe de « gender-balanced » en proposant un nouvel exécutif européen quasi paritaire. Un principe qui, selon la rédaction d’EU Logos « s’inscrit dans la modernité » [Cristina Di Prima, « Le nouveau Collège des commissaires 2019-2024 », Observatoire de la politique européenne pour l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice au service des citoyens. 20/09/2019]. Voilà comment la « modernisation » des institutions européennes récupère les combats féministes en les réduisant à l’égalité des femmes européennes des classes aisées avec des hommes européens appartenant à cette même classe.

[65. Françoise Vergès, 2019, Op. Cit., p. 31.

[66. Sur la division sexuelle du travail, voir « Travailleuses migrantes et transformation du marché de l’emploi » dans ce numéro.