Les missions du comité de Bâle
Comité de Bâle
Forum de discussion des gouverneurs de banques centrales fondé en 1974 en vue de définir des normes minimales pour une supervision bancaire commune. Il s’appelait à l’origine comite Cooke du nom de Peter Cooke, directeur de la Banque d’Angleterre et premier président du groupe. Hébergé au siège de la BRI, il établit à travers d’accords dits de Bâle (Bâle I, II et maintenant III) l’obligation pour les banques de couvrir au moins 8% de leurs engagements par des fonds propres.
(En anglais : Basel Committee on Banking Supervision, BCBS)
ont trait au renforcement de la sécurité et de la fiabilité du système financier et à la promotion des meilleures pratiques de surveillance bancaire. En outre, le Comité de Bâle encourage à la coopération internationale en matière de contrôle prudentiel. Jusqu’à présent, deux vagues d’accords ont eu pour cadre les instances de Bâle. On parle des accords Bâle I et II. Il sera essentiellement question, dans la présente analyse, des pourparlers en vue de la conclusion d’un accord Bâle III.
De si louables intentions au départ
Fin 2009, il apparaissait déjà, que des caucus feutrés entre banquiers centraux au bord du Rhin, rien de bien contraignant ne sortirait qui soit de nature à cadenasser un secteur bancaire auparavant renfloué par les pouvoirs publics. A l’époque, le Comité envisageait d’impulser un certain nombre de mesures destinées fondamentalement à renforcer les fonds
Fonds
(de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
propres des établissements bancaires. En outre, le Comité envisageait, à l’époque, d’interdire aux banques présentant une capitalisation déficiente d’accorder des dividendes à ses actionnaires.
Le secteur n’a pas tardé à faire entendre ses récriminations. Les exigences en terme de fonds propres
Fonds propres
Ensemble des fonds représentant ce que l’entreprise possède en propre. Il s’agit essentiellement du capital décomposé en parts de capital (ou en actions) en valeur nominale, d’une part, et des bénéfices réservés accumulés au fil des années d’autre part.
(en anglais : shareholders’ equity)
, sur lesquelles le vénérable Comité planchait dans ses caucus feutrés en bord de Rhin, destinées à équilibrer le poids des endettements dans les bilans bancaires, étaient de nature à fragiliser davantage encore les banques présentant les bilans les plus dégradés.
Avec le recul, le moins que l’on puisse dire est que les protestations du secteur ont pleinement porté leurs fruits. Car le Comité a, en fin de compte, prêté une oreille compatissante aux doléances du monde bancaire. Et cette évolution n’est pas sans poser questions. L’idée en revoyant à la hausse le ratio des fonds propres était d’éviter une répétition du scénario catastrophe de 2008 qui avait mis au grand jour les problèmes résultant du surendettement bancaire. Or, depuis quelques mois, les différents États qui ont secouru leurs banques déploient, l’un après l’autre, des trésors d’ingéniosité pour faire en sorte que "leurs" géants financiers ne soient pas touchés par l’onde de choc made in Bâle.
A l’origine, le processus Bâle III entendait restreindre fortement la définition de ce que les banques peuvent présenter comme constituant des actifs de qualité (dans le jargon, le Core Tier One. En français, le pilier 1) leur permettant d’amortir le choc d’éventuelles pertes. En plus du premier pilier, se pose la question de la liquidité
Liquidité
Capacité d’avoir des fonds disponibles pour payer au moment opportun fournisseurs, créanciers, salariés, caisses sociales, etc.
(en anglais : market liquidity ou cash)
des acteurs bancaires. Jusqu’à la crise de 2007-2008, le secteur bancaire avait l’habitude de se financer par le mécanisme des prêts interbancaires. La faillite de Lehman Brothers a conduit à une crise de confiance généralisée sur les marchés financiers.
Depuis, les banques y regardent à deux fois avant de se prêter de l’argent. Dès lors, puisque leurs liquidités sont insuffisantes, le robinet du crédit est coupé. En décembre 2009, les négociateurs de l’accord Bâle III envisageaient de revoir drastiquement à la hausse les liquidités que les banques doivent comptabiliser dans leurs bilans.
Au cours des derniers mois, ces objectifs ont été revus à la baisse. Comment et pourquoi ? Au rayon "démissions du Comité de Bâle", on rangera en bonne place la période de transition nécessaire à la mise en œuvre des nouveaux critères. En tout état de cause, à l’heure où ces lignes étaient écrites, on s’orientait vers une transition de huit ans pour que les nouveaux principes soient mis en œuvre. Autant dire que l’on n’est pas sorti de l’auberge. Rappelons, à cet égard, que les États-Unis ont refusé pendant des années de mettre en œuvre les dispositions contenues dans le paquet "Bâle II".
En ce qui concerne la définition du pilier 1 de la capitalisation bancaire, on ne peut guère affirmer que le Comité s’est montré des plus restrictifs. Ainsi, on s’orienterait vers une définition "extralarge" du pilier 1 du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
bancaire qui comprendra, à raison de 15%, des éléments pour le moins discutables [1]. Ainsi, sont inclus dans le pilier 1 du capital
Capital
des actifs pour lesquels des reports de paiement d’impôts ont été accordés. Et pour l’évaluation de la valeur de ces actifs, on n’a pas tenu compte des reports d’impôts. Ce qui correspond, sur le plan comptable, à une surévaluation puisque les taxes non prises en compte devront, de toute façon, être payées un jour ou l’autre.
On retrouvera également, dans le pilier 1, les droits relatifs à l’administration des titres hypothécaires (mortgage servicing rights). Comptabiliser des activités liées au secteur immobilier dans la partie solide du capital bancaire s’avère des plus curieux si l’on se réfère à l’état du marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
hypothécaire aux États-Unis. "Secteur à l’origine de la crise économique outre-Atlantique, l’immobilier donne de nouveaux signes inquiétants de faiblesse. En juillet, les ventes de logements anciens ont chuté, tombant à leur plus bas niveau depuis 1995. Pour le neuf, la situation est encore pire, avec un niveau plancher jamais atteint depuis les premières statistiques de ce type… en 1963. Ce violent coup d’arrêt, qui coïncide avec l0a fin du coup de pouce fiscal accordé par l’État pour l’achat d’une maison, se traduit par une nouvelle baisse des prix : selon les chiffres du ministère du commerce, le prix médian des ventes de maisons neuves du mois d’avril a chuté de 4,7 % par rapport au mois de juin, au plus bas depuis décembre 2003". [2] Mais que ne ferait-on pas pour satisfaire aux desiderata du secteur bancaire nord-américain ?
Virages à 180 degrés pour une valse-hésitation
Dernière bizarrerie du côté des définitions proposées : les nouveaux standards du Comité de Bâle intégreront, au sein du Tier One, les participations détenues par les partenaires minoritaires (principalement Chinois et Indiens) dans des entreprises situées dans des pays émergents. Cette inclusion, disons-le tout net, relève de la fantaisie la plus débridée. En effet, pour ce qui est de l’évaluation de leur valeur, les participations minoritaires font classiquement l’objet d’une décote.
"Le raisonnement est le suivant : la valeur de la société étant la valeur actuelle de ses cash-flows, la participation d’un actionnaire
Actionnaire
Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
qui n’a pas accès à la totalité des cash-flows futurs vaut moins que sa quote-part de la valeur de la société. Si l’actionnaire minoritaire a seulement accès aux dividendes, alors la valeur de sa participation sera la valeur actuelle des dividendes (plus, pour certains, l’avoir fiscal), ce qui signifie que la valeur de la participation dépend seulement du taux de distribution déterminé par l’actionnaire de contrôle". [3] Les nouvelles dispositions prônées par le package "Made in Bâle" tournent résolument le dos à cette doctrine comptable en envisageant de comptabiliser dans le noyau dur du capital des banques occidentales les participations outre-mer de leurs actionnaires minoritaires.
Pour ce qui est du calibrage du Tier One, la valse-hésitation des éminences grises du Comité de Bâle est aussi des plus remarquables. Par calibrage, on désigne le rapport entre le capital et les emprunts consentis. [4] La philosophie "Bâle II" enjoint les banques à couvrir leur risque de prêt via le calcul du ratio Mac Donough qui divise les fonds propres en deux catégories : le pilier 1 (Tier one) et le pilier 2 (Tier two). Les fonds propres exigés par les ratios Mac Donough doivent comprendre le pilier 1 et le pilier 2 à raison de plus de 8% des engagements bancaires et le pilier 1 doit toujours équivaloir à minimum 4% des engagements totaux. Si l’on mesure le risque rapport au capital "Core tier one" (composé exclusivement d’actions ordinaires et de bénéfices mis en réserve), Bâle II requiert des banques une provision
Provision
Opération comptable consistant à réserver une certaine somme d’argent en vue d’un paiement potentiel à l’avenir, par exemple en cas de litige.
(en anglais : provision)
de 2%. Comme nous l’avons vu auparavant, le Comité de Bâle a exclu de prendre comme point de départ de la mesure du risque le "Core Tier one" (que l’on pourrait traduire en français par noyau dur de capitalisation) mais en outre, ne s’est pas encore mis d’accord sur le niveau de ce ratio qui pourrait osciller entre 4 et 6 %. Rappelons que le palier de 6 % était celui qui a été retenu pour pratiquer les "stress tests" sur les banques européennes. Stress tests qui n’ont pas manqué de faire l’objet de critiques tant leur complaisance était évidente.
Par ailleurs, au début de l’année, le Comité de Bâle entendait exiger des banques un tampon contracyclique (buffer) de protection de 2 à 3%. L’idée est de faire varier, selon l’état de la conjoncture
Conjoncture
Période de temps économique relativement courte (quelques mois). La conjoncture s’oppose à la structure qui dure plusieurs années. Le conjoncturel est volatil, le structurel fondamental.
(en anglais : current trend)
, le fameux ratio entre fonds propres et risques. Quand lorsque tout va bien, la banque doit augmenter ces fonds propres et, de la sorte, constituer ainsi une sorte de réserve pour les temps difficiles où il est difficile de lever des fonds. L’objectif est d’éviter qu’en cas problèmes, les banques n’aient d’autre solution que de faire appel à l’État et aux contribuables. De plus, la création d’un "buffer" de capitalisation permettrait de lutter contre le caractère "procyclique" du cadre hérité de Bâle II. Actuellement, lorsqu’une bulle spéculative se forme, la qualité des actifs est surévaluée. L’argent coule à flots et les banques distribuent le crédit avec largesse. Mais lorsque la bulle éclate, certains actifs perdent tout ou partie de leur valeur. Certains acteurs n’arrivent plus à rembourser leurs emprunts. Les fonds propres baissent alors que les risques augmentent. Et le robinet du crédit se referme. La crise se généralise. En voulant établir des "buffers", le Comité de Bâle entendait donc lisser cette trop grande sensibilité des banques aux hauts et aux bas de la conjoncture économique. Par ailleurs, le Comité de Bâle envisageait, l’hiver dernier, d’appliquer aux banques systémiques un "buffer" plus important.
Force est, cependant, de constater qu’en matière d’aménagement du cycle économique
Cycle économique
Évolution de la production passant régulièrement par des phases bien déterminées : d’abord un essor, puis un ralentissement de la croissance, le pic, la baisse, le creux et enfin la reprise.
(en anglais : business cycle ou economic cycle)
des banques, le package "Bäle III" tel que dévoilé au mois d’août constitue une autre dérobade. En effet, la mise en œuvre de buffers de capitalisation n’a, jusqu’à présent, jamais été formellement présentée par le Comité.
Problèmes macroéconomiques en toile de fond
Le grand mouvement de marche en arrière précédemment décrit a été, pour l’essentiel, motivé par des considérations macroéconomiques. "L’investigation révèle que ces changements ont plus été le résultat d’une peur grandissante au sujet de l’impact des propositions sur le redressement économique que les efforts de lobbying des banquiers". [5] En cause, la capitalisation insuffisante des banques en Europe et aux Etats-Unis. Si le Comité de Bâle avait continué sur sa ligne, les 16 plus grandes banques européennes auraient dû chercher une capitalisation de l’ordre de 300 milliards d’euros. Car leur ratio de couverture
Couverture
Opération financière consistant à se protéger contre un risque lié à l’incertitude des marchés futurs par l’achat de contrats d’assurance, d’actes de garantie ou de montages financiers.
(en anglais : hedge)
des prêts aurait glissé de 9 à 5,3%. Même topo du côté des 35 plus grandes banques US pour lesquelles la Barclay’s Bank a établi une sous-capitalisation de l’ordre de 115 milliards de dollars. [6] Bigre !
C’est ici précisément que la peur s’est emparée des régulateurs bâlois. Car en mettant en place une réglementation plus stricte qui aurait nécessité une réduction des bilans et une recapitalisation, la peur est de mettre en place les conditions d’un resserrement du crédit
Resserrement du crédit
Contraction brutale du crédit accordé par les banques sous l’effet de la dégradation de leur situation financière.
(En anglais : credit crunch)
(credit crunch). Au moment où la croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
et l’octroi de crédit battent sérieusement de l’aile aux États-Unis.
Pourtant, les taux d’intérêt
Taux d’intérêt
Rapport de la rémunération d’un capital emprunté. Il consiste dans le ratio entre les intérêts et les fonds prêtés.
(en anglais : interest rate)
(à court terme) y sont proches de zéro. Et l’économie US ne repart pas contrairement, d’ailleurs, à toute attente. Car lorsqu’elles mettent en œuvre la politique monétaire, les banques centrales injectent des quantités plus ou moins grandes de monnaie
Monnaie
À l’origine une marchandise qui servait d’équivalent universel à l’échange des autres marchandises. Progressivement la monnaie est devenue une représentation de cette marchandise d’origine (or, argent, métaux précieux...) et peut même ne plus y être directement liée comme aujourd’hui. La monnaie se compose des billets de banques et des pièces, appelés monnaie fiduciaire, et de comptes bancaires, intitulés monnaie scripturale. Aux États-Unis et en Europe, les billets et les pièces ne représentent plus que 10% de la monnaie en circulation. Donc 90% de la monnaie est créée par des banques privées à travers les opérations de crédit.
(en anglais : currency)
dans les rouages de l’économie. Une baisse des taux rend le crédit moins cher, incite à la consommation et dope les investissements. Lorsque l’économie est, au contraire, en surchauffe, les autorités monétaires augmentent les taux d’intérêt. Le crédit est plus cher et les investissements peuvent diminuer.
Le cas des États-Unis aujourd’hui est des plus intéressants. La semaine dernière, la Réserve fédérale (Fed) aux Etats-Unis achetait des titres obligataires à long terme [7]. Pourtant, après avoir adopté des taux d’intérêt quasiment nuls dès la fin de l’année 2008, la Fed comptait relancer l’économie nationale. Cependant, les perspectives de croissance pour l’économie états-unienne restent particulièrement moroses. C’est que l’Oncle Sam vit, pour l’heure, une situation de trappe à liquidité. Explications.
La trappe à liquidité (ou le piège à liquidités) désigne la tendance des agents économiques à ne pas dépenser en dépit de la faiblesse des taux en période de crise. En cas de trappe à liquidité, les consommateurs, les entreprises et les institutions se caractérisent par une préférence pour l’épargne même si le rendement de cette dernière est quasiment nul.
"Afin de stimuler la croissance économique lorsqu’il n’est plus possible d’abaisser le taux d’intérêt nominal à très courte échéance, l’autorité monétaire peut tenter d’influencer les anticipations des agents économiques. En particulier, elle doit convaincre l’ensemble des agents économiques que la baisse des prix n’est que temporaire – c’est-à-dire que les prix remonteront sous peu et que l’inflation
Inflation
Terme devenu synonyme d’une augmentation globale de prix des biens et des services de consommation. Elle est poussée par une création monétaire qui dépasse ce que la production réelle est capable d’absorber.
(en anglais : inflation)
redeviendra positive à court terme –, ce qui peut être assez difficile lorsque le prix des maisons (…) continue de reculer." [8] Faire repartir l’inflation (c’est ce que l’on appelle "reflater" une économie), c’est précisément ce que s’emploie à faire la Fed actuellement puisqu’elle rachète des obligations d’État en faisant jouer la planche à billets. Par ailleurs, en raréfiant les bons du Trésor disponibles sur les marchés, la Fed espère que davantage de crédit va être mis à la disposition du public.
A la base de l’atonie des économies occidentales, on retrouve l’excès de mauvaises dettes dans les systèmes bancaires occidentaux. Ce surendettement a contraint, dans un premier temps, les banques à se séparer, dans la panique, de certains de leurs actifs et les amène aujourd’hui à couper le robinet du crédit.
Le mouvement de vente massif d’actifs en a fait baisser les prix. Ce mécanisme a, en d’autres temps, caractérisé l’économie japonaise à partir du milieu des années nonante "mais un second facteur, plus important encore, contribue à entretenir la déflation
Déflation
Période durant laquelle les prix ont tendance à baisser continuellement. Ce qui a, en général, l’effet de baisser également les salaires. La déflation est l’inverse de la situation d’inflation.
(en anglais : deflation).
. En effet, le prix de la quasi-totalité des actifs tend à chuter qu’il s’agisse de la bourse
Bourse
Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
ou de l’immobilier, de sorte que c’est principalement l’interdépendance du prix des actifs qui propage la déflation des entreprises non financières aux banques, des banques aux compagnies d’assurance et ainsi de suite. L’originalité nippone est que la déflation demeure modérée et ne s’accélère pas au cours du temps, sous le double impact d’une politique monétaire extrêmement permissive et d’une succession de relances budgétaires. On serait tenté d’y voir un "krach
Krach
Effondrement subi d’une ou plusieurs places boursières à la suite d’une bulle financière. Il suscite souvent, chez les investisseurs, des conduites de panique qui amplifient cette situation de crise sur l’ensemble des marchés internationaux. L’exemple type du krach est celui qui affligea la bourse de Wall Street en 1929.
(En anglais : stock market crash)
lent" si la dénomination n’était pas une contradiction dans les termes." [9]
Le "credit crunch" constitue un autre facteur important dans l’installation d’un krach lent. La raréfaction du crédit réduit les investissements. Ce qui fait pression, en retour, sur la demande effective vu l’augmentation du chômage. Faute de débouchés, un certain nombre d’entreprises en arrive à ne plus pouvoir honorer leurs dettes. Les faillites augmentent. Les entreprises en faillite vont être rachetées pour une bouchée de pain. Cela va amener à des restructurations, avec à la clé une augmentation du chômage.
La dynamique dépressive n’est plus très loin. Comme on peut le constater, nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. Quelles leçons en tirer au sujet du traitement de la crise financière de 2008 ? Posons-nous simplement, naïvement la question : quelque chose aurait-il échoué en cette matière ?
Bad times, bad banks…
La question centrale, quand on évoque l’acteur bancaire aujourd’hui, est celle de sa solidité financière. Examiner sérieusement cette question nécessite, au préalable, quelques éclaircissements conceptuels. Jauger la santé d’une banque revient à en évaluer la valeur nette. Valeur nette qui s’établit en faisant, tout bonnement, la différence entre la valeur des actifs détenus et celle de la dette contractée.
Quand cette dernière est plus grande que la valeur de ses actifs, la banque rencontre un problème de solvabilité
Solvabilité
Rapport de long terme pour savoir si la firme peut structurellement supporter les charges financières qu’elle doit assurer de par son activité ; c’est sa capacité à rembourser les dettes qu’elle contracte.
(en anglais : solvency)
. Lorsque ses actifs piquent du nez, une banque passe par une crise de confiance. Il lui est plus difficile de trouver des prêts auprès des autres banques et ses clients sont tentés de retirer leurs dépôts.
C’est ce type de crise qu’ont connue les banques à la fin de l’année 2008. Les gouvernements du monde occidental ont réagi en mettant en œuvre des plans visant à socialiser les pertes de leurs champions bancaires. Les États ont, à cette époque, injecté des capitaux et garanti les dépôts ainsi que les dettes bancaires. Les États ont donc massivement concentré leur action sur le passif des institutions bancaires.
En ce qui concerne les actifs, ce fut le grand silence. Leur dépréciation a été intégralement prise en charge par les États. Pourtant, dans un passé récent, à l’occasion d’autres crises de solvabilité des banques, des États ont développé une action
Action
Part de capital d’une entreprise. Le revenu en est le dividende. Pour les sociétés cotées en Bourse, l’action a également un cours qui dépend de l’offre et de la demande de cette action à ce moment-là et qui peut être différent de la valeur nominale au moment où l’action a été émise.
(en anglais : share ou equity)
qui a porté sur l’actif des banques défaillantes. Dans les années nonante, les banques suédoises étaient au plus mal. Et le gouvernement de l’époque a déclaré certaines banques insolvables et les a nationalisées. Les pouvoirs publics ont alors procédé à un véritable travail de curateur. C’est ainsi qu’ils ont passé par pertes et profits les actifs douteux. C’est également cette solution qui a été appliquée par le gouvernement américain, lors de la crise des caisses d’épargne des années 80, lorsqu’il a procédé à la nationalisation
Nationalisation
Acte de prise en mains d’une entreprise, autrefois privée, par les pouvoirs publics ; cela peut se faire avec ou sans indemnisation des anciens actionnaires ; sans compensation, on appelle cela une expropriation.
(en anglais : nationalization)
de Continental Illinois en 1984.
En guise de traitement à la crise financière d’octobre 2008, Nouriel Roubini et Stephen Mihm évoquent une piste similaire. "La proposition la plus prometteuse consistait à soumettre les banques à une lourde intervention chirurgicale. Il s’agissait de prendre une banque en difficulté et de la diviser en deux : une "bonne" banque qui disposerait de tous les actifs de bonne qualité et une "mauvaise" banque à qui on confierait tout le reste. La bonne banque pourrait recommencer à consentir des prêts, à attirer de l’argent et des capitaux et à faire des affaires." [10] Que se serait-il passé pour les actionnaires ? "Les actionnaires de la banque et ses créanciers dépourvus de garanties subiraient des pertes proportionnées aux actifs confiés à la mauvaise banque". [11] Et c’est ici précisément que cela a, comme on dit familièrement, coincé. La crise de 2008 était globale (contrairement à la crise suédoise) et affectait l’ensemble des banques (contrairement à la crise des caisses d’épargne américaines du début des années 80). En cas d’adoption d’une stratégie de sortie de crise faisant reposer les dépréciations d’actifs sur les épaules des seuls actionnaires, les pertes, pour ces derniers, eussent été bien plus considérables. La socialisation des pertes leur a évité ce sacrifice.
Aujourd’hui, deux ans (quasiment jour pour jour) après la faillite de Lehman Brothers, c’est cette sortie de crise via la mise en œuvre d’une socialisation des pertes qui gêne aux entournures le Comité de Bâle. Lorsque les Etats occidentaux (en ce compris le Japon) ont recapitalisé leurs banques à la fin de l’année 2008, ce fut au prix d’un endettement massif. Au troisième trimestre 2009, le FMI
FMI
Fonds Monétaire International : Institution intergouvernementale, créée en 1944 à la conférence de Bretton Woods et chargée initialement de surveiller l’évolution des comptes extérieurs des pays pour éviter qu’ils ne dévaluent (dans un système de taux de change fixes). Avec le changement de système (taux de change flexibles) et la crise économique, le FMI s’est petit à petit changé en prêteur en dernier ressort des États endettés et en sauveur des réserves des banques centrales. Il a commencé à intervenir essentiellement dans les pays du Tiers-monde pour leur imposer des plans d’ajustement structurel extrêmement sévères, impliquant généralement une dévaluation drastique de la monnaie, une réduction des dépenses publiques notamment dans les domaines de l’enseignement et de la santé, des baisses de salaire et d’allocations en tous genres. Le FMI compte 188 États membres. Mais chaque gouvernement a un droit de vote selon son apport de capital, comme dans une société par actions. Les décisions sont prises à une majorité de 85% et Washington dispose d’une part d’environ 17%, ce qui lui donne de facto un droit de veto. Selon un accord datant de l’après-guerre, le secrétaire général du FMI est automatiquement un Européen.
(En anglais : International Monetary Fund, IMF)
avait fait les comptes [12]. "Les pays avancés du G20
G20
Extension du G8 à d’autres pays de la planète, considérés comme importants par leur taille et leur poids politique et économique. Il s’agit de 19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Russie et Turquie) et de l’Union européenne. Créé en septembre 1999, ce groupe a pris une importance croissante avec la crise économique, étant donné qu’il apparaît que celle-ci ne peut plus être résolue par les pays du G8 seuls.
(En anglais : G20)
qui verront leur dette publique
Dette publique
État d’endettement de l’ensemble des pouvoirs publics (Etat, régions, provinces, sécurité sociale si elle dépend de l’Etat...).
(en anglais : public debt ou government debt)
passer de 78,8% de leur PIB
PIB
Produit intérieur brut : richesse marchande créée durant une période déterminée (souvent un an) sur un territoire précisé (généralement un pays ; mais, en additionnant le PIB de tous les pays, on obtient le PIB mondial).
(en anglais : Gross Domestic Product ou GDP)
en 2007 à 119,7% en 2014. Pendant ce temps, les émergents membres du G20 feront légèrement baisser le poids de leurs dettes (37,5% du PIB puis 36,4% en 2014). La dette publique des USA dépassera les 112% du PIB en 2014 et ne commencera à se stabiliser qu’à partir de 2019". [13] Cet emballement explique pourquoi aujourd’hui, le mot d’ordre est à l’austérité
Austérité
Période de vaches maigres. On appelle politique d’austérité un ensemble de mesures qui visent à réduire le pouvoir d’achat de la population.
(en anglais : austerity)
.
Car la belle solidarité affichée par les gouvernements occidentaux à l’égard des actionnaires des banques va permettre un chassé-croisé en matière de risque de crédit. Le risque de crédit (ou risque de contrepartie) désigne le risque qu’un tiers ne paie pas sa dette à temps. Il y a deux ans, la peur du non-paiement portait sur le marché hypothécaire US (qui est loin d’être tiré d’affaire). Aujourd’hui, ce sont les gouvernements qui ont repris le flambeau. Il est vrai que leur spectaculaire endettement pose, dans certains cas, question.
Or, il se trouve qu’à la partie "actifs" des bilans bancaires, on retrouve aujourd’hui des obligations d’États en grande difficulté. A leur propos, certains analystes se montrent très modérément optimistes [14]. Les taux d’intérêt auxquels ces États (Espagne, Irlande, Grèce, Portugal) font aujourd’hui face sont calculés en référence au taux portant sur les obligations allemandes, pays réputé le plus stable financièrement et bénéficiant, à ce titre, d’un taux plancher. Le taux d’intérêt sur les obligations allemandes (maturité : 10 ans) était, le vendredi 3 septembre 2010, de 2,3%. Le taux d’intérêt des obligations grecques était supérieur de 9,4% au taux allemand. Si le taux d’intérêt des obligations allemandes devait remonter dans un avenir proche (à 2,3%, il est ridiculement bas), la Grèce pourrait, dès lors, faire défaut sur sa dette.
Le rapport avec les palinodies bâloises ? Si les banques détiennent des obligations "pourries" à l’actif de leurs bilans, il devient difficile d’exiger d’elles, à moyen terme, des ratios de capitaux propres plus élevés. Les grandes compagnies européennes se montrent d’ailleurs des plus méfiantes lorsqu’il s’agit de traiter avec les banques du vieux continent. La presse économique [15] révélait que les grandes compagnies de Grande-Bretagne et d’Europe continentale évitaient de traiter avec des banques italiennes, espagnoles et mêmes allemandes dans la mesure où de sérieux doutes subsistaient quant à la qualité de leurs actifs.
La facture de la crise 2008 est toujours sur la table. Et les pourparlers qui se nouent au sein du Comité de Bâle n’y changeront rien. Les décisions de socialisation des pertes bancaires ont été prises ailleurs (au sein des Etats-nations) et avant (à l’automne 2008). En cas de défaillance d’un Etat européen sur sa dette, c’est à ce niveau qu’il conviendra de poser quelques questions de sens. La suite au prochain épisode !