Le canal traditionnellement utilisé par les salariés est le conseil d’entreprise où siègent leurs élus. Depuis quelque temps, il existe des comités d’entreprise européens qui exercent un rôle quelque peu similaire. Qu’est-ce que c’est et quelle est leur fonction exacte ?
Le plan (social) Delors
Dans les années 80, la construction européenne a été axée entièrement sur l’achèvement du grand marché intérieur et sur la réalisation des libertés marchandes (personnes, marchandises, capitaux et services). Une Europe uniquement économique aux yeux de beaucoup. Le social est d’ailleurs une compétence essentiellement des États. Jacques Delors, alors président de la Commission, socialiste français et proche des responsables du syndicat CFDT, veut ajouter un axe de "cohésion sociale".
Déjà par le passé, des projets de créer des mécanismes de concertation sociale au niveau européen avaient échoué. En 1975, un premier texte en ce sens avait été longuement discuté, avant d’être rejeté sept ans plus tard. En 1980, une seconde tentative, appelée proposition Vredeling, du nom du commissaire néerlandais qui l’impulse, est lancée. Il s’agissait d’organiser l’information des salariés dans les firmes transnationales. Le projet est abandonné en 1984.
Dans la seconde moitié de 1988, la présidence grecque relance la discussion. En 1989 est signée la Charte des droits sociaux fondamentaux, mais qui n’a que peu d’impact. Il s’agit surtout d’une lettre de bonnes intentions et Londres n’y adhère pas. Aussi Jacques Delors insistera pour inclure dans le traité de Maastricht, acte fondateur "bis" de l’Union, un chapitre sur le social. Comme les Britanniques refusent cette partie, elle devient une annexe au traité conclu par les onze autres pays membres [1]. Finalement, avec l’arrivée du travailliste Tony Blair au 10 Downing Street [2] en 1997, le Royaume-Uni l’acceptera et la Charte deviendra un chapitre du traité d’Amsterdam (et donc de l’Union) [3].
Il est bon d’y revenir, car, pour la première fois, la Communauté européenne a le droit de suppléer les États nationaux en matière sociale. En ce qui concerne la concertation sociale, soulignons que l’article 2 reprend "l’information et la consultation des travailleurs" comme un des domaines privilégiés de cette nouvelle compétence. En particulier, l’article 3 précise : "La Commission a pour tâche de promouvoir la consultation des partenaires sociaux au niveau communautaire et prend toute mesure utile pour faciliter leur dialogue en veillant à un soutien équilibré des parties." L’article 4 note encore : "Le dialogue entre partenaires sociaux au niveau communautaire peut conduire, si ces derniers le souhaitent, à des relations conventionnelles, y compris des accords."
De là à introduire des comités d’entreprise européens, il n’y a qu’un pas qui sera vite franchi.
Une directive peu directive
C’est la directive 94/45/CE du Conseil, du 22 septembre 1994, qui précisera les contours du nouvel organe.
Ainsi, toute firme employant au moins 1.000 salariés dans l’Union et 150 au moins dans deux États membres doit constituer, théoriquement avant le 22 septembre 1996, un comité d’entreprise européen sur la base d’une négociation avec les organisations syndicales présentes en son sein. Ou, du moins, doit-elle entamer des négociations pour ce faire.
Problème. Ce sont les États membres qui sont censés faire respecter la législation. Or, les entreprises peuvent choisir (shopping social) le pays où elles inscrivent leur comité et, partant, le droit national de leur choix. Ainsi, la direction de GM Europe (Opel et Vauxhall), a-t-elle opté pour la Belgique pour échapper aux procédures sociales allemandes.
Autre point peu précis : la nature des informations à laquelle les syndicalistes du CEE
CEE
Communauté Économique Européenne : Organisation économique régionale fondée au départ par six États avec la signature du traité de Rome en 1957. Le point fondamental est de créer un marché intérieur intégré, basé sur trois libertés de circulation (personnes, marchandises, capital). Avec l’Acte unique de 1986 sera ajoutée une quatrième liberté, celle des services. Les droits de douane seront supprimés entre les pays membres et des tarifs communs instaurés aux frontières du bloc commercial. La CEE se transforme en Union européenne avec le traité de Maastricht de 1992.
(En anglais : European Economic Community, EEC)
ont droit. L’article 1 dispose que la "présente directive a pour objectif d’améliorer le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d’entreprises de dimension communautaire". Mais nulle part il n’est spécifié ce qui relève de ce droit à l’information. C’est laissé au bon vouloir de la direction. Ou alors c’est le reflet de la négociation collective, c’est-à-dire en définitive du rapport de forces au sein de la firme.
D’autant que l’article 8 précise : "Les États membres prévoient que les membres du groupe spécial de négociation et du comité d’entreprise européen ainsi que les experts qui les assistent éventuellement ne sont pas autorisés à révéler à des tiers les informations qui leur ont été expressément communiquées à titre confidentiel" Autrement dit, les délégués syndicaux peuvent en apprendre plus sur l’entreprise, mais ne peuvent pas toujours relayer l’information aux travailleurs qu’ils représentent. Ajouter que ces clauses de confidentialité risquent de renforcer les liens entre ces délégués et le patronat, par une alliance entre ceux qui "savent", et ce au détriment des salariés. La direction peut jouer là-dessus : se montrer très ouverte si les syndicats sont coopératifs et fermée s’ils ne le sont pas. Chantage classique.
Révision dans la douleur
La directive de 1994 devait, cinq ans après son adoption, au plus tard, faire l’objet d’une révision. Selon ses auteurs mêmes, il ne s’agissait que d’un premier pas, un essai qu’il fallait examiner en fonction des avancées ou des limitations constatées. La nouvelle Commission Barroso n’était nullement pressée de se mettre à la tâche, étant bien davantage préoccupée de compétitivité ou d’activation des chômeurs.
Ce n’est qu’en avril 2004 qu’elle lance un processus de consultation pour améliorer le texte initial. Les organisations syndicales émettent immédiatement leurs critiques et leurs propositions. Pour elles, il faut abaisser le seuil minimum à partir duquel une firme doit installer un comité d’entreprise européen à 500 travailleurs dans l’Union et 100 seulement dans deux États. Elles demandent aussi que la nouvelle législation dépende du droit communautaire pour éviter que la mise en place et la consultation de ces comités ne relèvent des États, jugés peu enclins à poursuivre les firmes qui ne respectent pas la directive. En outre, elles voudraient que les notions d’information et de consultation soient précisées. Et elles désirent que les délégués syndicaux puissent disposer d’experts et de formations pour pouvoir analyser les renseignements fournis par la direction et, surtout, que ceux-ci soient financés par l’entreprise même. Pour mémoire...
Car le patronat - et en particulier son représentant officiel, l’UNICE [4] – ne voudra rien entendre et ce n’est qu’au début de 2008 qu’il lâchera un peu de lest, permettant ainsi à la Commission de présenter un nouveau texte... qui est loin de répondre aux attentes syndicales. Il ne répond à quasi aucune des exigences des travailleurs. Mais la réalité de ces organes est réaffirmée. La nouvelle disposition a été votée au Parlement européen le 16 décembre 2008, ensuite le lendemain au Conseil des ministres. Les effets concrets pourraient attendre encore deux ans, soit le temps laissé aux États membres pour transposer la directive dans le droit interne.