Le meurtre de Semira Adamu avait révélé au grand public l’importance des droits des femmes en matière d’asile. Vingt ans plus tard, les autorités belges ne reconnaissent toujours pas les violences de genre dans les procédures d’asile. Hier comme aujourd’hui, les femmes prolétarisées des anciennes colonies restent les principales victimes des violences structurelles et des inégalités. Mais, comme l’était Semira, elles sont également des résistantes. C’est l’histoire de femmes, au cœur du combat contre le capitalisme patriarcal et raciste, que révèle le Gresea Échos qui vient de paraître.
Édito Gresea Échos 95, sept. 2018
Le 22 septembre 1998, une demandeuse d’asile déboutée est conduite par la police belge pieds et poings liés dans un avion de la Sabena. Afin d’éviter sa résistance et l’intervention de témoins, les gendarmes appliquent la procédure fixée par le ministère de l’Intérieur concernant les expulsions des « étrangers » : apposer de force un coussin sur la bouche de la personne afin de l’empêcher de faire du bruit. Les gendarmes appliquent cette technique durant 11 minutes au bout desquelles la jeune femme meurt étouffée. Elle s’appelait Semira Adamu et avait 20 ans. Elle avait quitté le Nigéria pour échapper à un mariage forcé. Mais, en matière d’asile, les violences spécifiques aux femmes ne sont pas prises en considération. En d’autres termes, pour l’État belge, un mariage forcé ne porte pas atteinte à la vie humaine.
Vingt ans plus tard, le 17 mai 2018, la police poursuit une camionnette sur l’autoroute E42. À l’intérieur, une trentaine de femmes, d’hommes et d’enfants migrant.e.s. Un policier tire une balle et touche mortellement une enfant de deux ans. La fillette s’appelait Mawda Shawri, elle était née en Allemagne. Ses parents avaient quitté l’Irak pour fuir le mariage forcé d’Amir, la maman de Mawda. Leur demande d’asile avait été rejetée en Allemagne.
Si le meurtre de Semira avait révélé au grand public la prise en considération des droits des femmes en matière d’asile, force est de constater la réticence des autorités européennes à reconnaitre les violences de genre dans les procédures d’asile, violences pourtant inscrites dans la Convention de Genève. Au contraire, en élargissant ses frontières aux pays de l’Est, l’Europe a davantage cadenassé sa politique migratoire en renforçant l’organisation de mouvements migratoires « choisis ». Cette politique utilitariste consiste à réserver le droit à la circulation et à l’établissement à une classe privilégiée ou à une « main-d’œuvre » indispensable au développement économique de l’Europe. Ces politiques s’avèrent particulièrement draconiennes pour les femmes.
Hier comme aujourd’hui, les femmes pauvres des anciennes colonies sont les principales cibles des violences structurelles. Mais, comme l’était Semira, elles sont également des résistantes. C’est donc l’histoire de femmes, au cœur du combat contre le capitalisme patriarcal et raciste, que ce numéro met en lumière.
Comme le souligne Erik Rydberg dans l’édito du Gresea Écho N°38 « Migrants sans frontières ? » (Juin 2003), le Gresea, « qui concentre ses actions sur les conséquences des décisions prises par les acteurs économiques du Nord pour les peuples du Sud », s’est souvent positionné sur les mécanismes économiques agissants sur la circulation des personnes, que ce soit sur le contrôle des frontières comme sur les causes qui poussent les personnes à émigrer. Deux de ses fondateurs, Albert Carton et René De Schutter, ont même occupé un rôle prépondérant depuis les années 1970 dans la lutte contre l’exploitation économique des immigrant.e.s. Il s’agit d’une période où les pays d’Europe de l’Ouest adoptent le principe de la fermeture des frontières. En même temps, de nouvelles formes de contrats dits « atypiques » apparaissent et s’imposent progressivement. Les femmes et les travailleur.euse.s migrant.e.s sont les premier.e.s touché.e.s par ces nouvelles formes de mise au travail, servant de laboratoire à la précarisation de l’ensemble du salariat. Si ces formes de contrat sont d’abord expérimentées sur ces groupes sociaux, c’est parce qu’il existe un cadre spécifique de division sociale, sexuelle et internationale du travail. Mais comment ces socles structurels ont-ils été historiquement construits ?
Ce numéro soulève des questions concernant l’organisation du travail et met en lumière les enjeux liés à la formation et à l’imbrication des rapports sociaux de sexe, de « race » et de classe qui sont à la base des mouvements migratoires, mais aussi de la création des statuts différenciés des « migrant.e.s » (selon leur classe sociale, leur pays d’origine et/ou leur sexe). Bien que le « problème » de la migration implique, avant tout, la non-reconnaissance de la libre circulation de (certaines) personnes, il est nécessaire de réfléchir aux rapports qui sous-tendent les « privilèges » des unes au détriment des autres, car les problèmes humanitaires qui touchent les populations du Sud ne seront pas résolus par la seule « libre circulation des personnes ». La plupart d’entre elles n’ont en effet pas librement choisi le chemin de la migration. En soulevant le processus historique de formation/transformation de la division sociale et sexuelle du travail, de l’exploitation et de la colonisation, ce numéro retrace le continuum existant entre la domination et l’exploitation des uns et les « privilèges » des autres, hier comme aujourd’hui.
Natalia Hirtz
« Qhip nayra uñtasis sarnapqaxañani » [C’est en regardant en arrière et en avant (le futur-passé) que nous pouvons avancer dans le présent-futur] [1]
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