En novembre 2017, le groupe chinois COSCO, via sa filiale COSCO Shipping Ports (CSP), prend le contrôle du terminal container du port de Zeebrugge en Belgique. Bien que présent dans le capital Capital Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
de terminaux containers à Anvers (2004) et à Rotterdam (2016), COSCO entend faire de Zeebrugge son hub principal en mer du Nord.

Cet article est paru en anglais dans la publication "The Corporate Silk Road : a New Era of (E-)Infrastructure in Europe" du Réseau Européen des Observatoires de Multinationales (ENCO).

Source : mast3rod, COSCO, 29 octobre 2010, Flickr (CC BY 2.0)

COSCO voit le jour en 1961, ce qui fait de l’entreprise le premier transporteur maritime international chinois. Dans les années 80 et 90, à la faveur du développement de l’économie chinoise et de l’intérêt des entreprises occidentales pour la production dans ce pays, COSCO se développe rapidement. En 1993, elle devient la première entreprise d’État chinoise cotée sur le marché Marché Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
international des capitaux à Singapour [1].

À partir de la fin des années 90 et l’appel du « Go Global [2] » des autorités aux grandes entreprises chinoises, COSCO décide d’augmenter sa flotte et de se diversifier, développant les services logistiques, les activités de gestion de terminaux portuaire, ainsi que la construction et la réparation de navires.

Plus récemment, en 2016, COSCO fusionne avec la China Shipping, autre entreprise d’État, pour devenir un des plus grands transporteurs maritimes mondiaux. Cette fusion Fusion Opération consistant à mettre ensemble deux firmes de sorte qu’elles n’en forment plus qu’une.
(en anglais : merger)
est souhaitée par les autorités dans un souci de rationaliser le secteur maritime d’état et d’améliorer les rendements d’échelle ainsi que pour s’adapter à la baisse de croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
du pays et par conséquent celle du transport maritime. L’entreprise est aujourd’hui classée 264e dans la liste des 500 plus grandes entreprises du monde, devant tous ses concurrents [3].

En 2017, COSCO devient un des membres de la plus grande alliance maritime mondiale, l’Ocean Alliance, aux côtés de l’entreprise française CMA CGM, de la taiwanaise Evergreen et de la hongkongaise OOCL (rachetée par COSCO la même année). Les alliances maritimes permettent une coopération opérationnelle entre les entreprises (partage de capacité, coordination des itinéraires et horaires, fixation de prix) et sont par conséquent une dérogation aux législations antitrust généralement en vigueur [4].

L’opposition de l’autorité chinoise de la concurrence d’un rapprochement entre les trois grandes compagnies européennes (Moller-Maersk, MSC et CMA CGM), pourtant acceptée par les autorités de la concurrence européennes et états-uniennes, a démontré la capacité de la Chine à peser sur la gouvernance maritime mondiale [5].

 CSP Zeebrugge

En 2014, COSCO, via sa filiale COSCO Shipping Ports [6], acquière 24% des actions du terminal container de Zeebrugge alors détenu majoritairement par l’entreprise danoise Moller-Maersk. Le trafic container à Zeebrugge avait alors passablement de mal à se développer à cause de la concurrence exercée par les grands ports de la région (Anvers, Rotterdam) et les conséquences de la crise de 2007/2008 qui a vu une consolidation ultérieure du secteur maritime [7]. Le terminal passera définitivement dans les mains de COSCO en novembre 2017 qui rachètera, pour 35 millions d’euros, les 76% des actions restantes [8], obtenant une concession de 50 ans pour gérer le terminal flamand. Cette prise de contrôle n’a pas été une véritable surprise ; plusieurs signes avant-coureurs annonçaient cette décision.

En octobre 2016, le port de Zeebrugge décide d’établir la « Silk Road Platform Zeebrugge » en partenariat avec COSCO et Minmetals (géant public minier et métallurgique chinois), afin de favoriser l’intégration du port dans les nouvelles routes de la soie [9]. La plateforme entend développer les connexions maritimes, mais aussi ferroviaires, entre Zeebrugge et la Chine, ainsi que les capacités logistiques du port (stockage, services) pour attirer les entreprises intéressées dans le commerce entre la Chine et l’Europe via Zeebrugge.

En juin 2017, le port et la China Development Bank signent un mémorandum afin de soutenir financièrement les exportateurs chinois souhaitant établir à Zeebrugge leur centre logistique. L’accord prévoit en outre des financements pour la « Silk Road Platform ». La présence des Premiers ministres belges Charles Michel et chinois Keqiang Li à la cérémonie a montré l’importance alors donnée à l’accord. À cette même occasion, un accord était signé entre le port et Changjiu Logistics Group pour le développement de la ligne ferroviaire Zeebrugge-Heilongjiang, reliant le port au centre de production Volvo [10] en Chine.

Zeebrugge compte plusieurs avantages qui ont permis d’attirer COSCO. Premièrement, c’est un port naturel en eaux profondes, ce qui facilite grandement son accès (pas de trajet de fleuve comme à Anvers ou Rotterdam) et permet d’accueillir les plus grands navires en activité. Deuxièmement, le port est très bien connecté aux réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux reliant l’Europe occidentale, grand bassin de consommation et de production. Troisièmement, le port est très proche du Royaume-Uni, avec qui il entretient des relations de longue date. Finalement, la relative petite taille du port fait qu’il y a moins de congestion et que le temps d’attente pour les navires y est passablement réduit.

Même s’il reste un port de seconde catégorie, COSCO ambitionne d’y développer fortement le trafic container. Lors de la prise de contrôle par COSCO, le terminal gérait un peu plus de 300.000 TEU [11] par an. Deux ans plus tard, en 2019, le trafic atteignait déjà plus de 480.000 TEU, soit une augmentation de plus de 50%. Pour les six premiers mois de 2020, malgré la pandémie, le trafic a atteint presque 300.000 TEU [12]. La capacité actuelle du terminal est d’environ 1 million de containers par an, mais l’opérateur chinois ambitionne à moyen terme de doubler cette capacité [13].

En effet, COSCO a prévu de faire accoster à Zeebrugge les navires de son service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
Europe-Asie NEU1 (en plus de l’actuel NEU3), le plus important de l’Ocean Alliance [14]. Zeebrugge sera donc escale de deux des sept services de l’alliance. Dans cette perspective, COSCO a décidé de rehausser 5 des 7 grues pour accueillir des navires allant jusqu’à 23.000 TEU.

 COSCO : un pont vers la Chine

En mai 2018, c’est le groupe Lingang [15], entreprise publique de développement économique de Shanghai, qui annonce son arrivée dans le port. Le groupe investira 85 millions d’euros pour le développement d’un parc industriel dans le port [16]. Le plan prévoit la construction, en deux temps, de 30 hectares de parc industriel ; à l’heure actuelle, 76.000m2 de hangar sont en construction [17] et devraient être fonctionnels à la fin de l’année 2020 avec environ 300 emplois à la clé.

Lingang entend collaborer avec COSCO et des entreprises chinoises et européennes, dont certaines ont déjà annoncé leur arrivée, pour développer le commerce entre la Chine et l’Europe, particulièrement autour du textile et de l’électronique, mais aussi du e-commerce. L’arrivée du géant de l’e-commerce Alibaba à Liège [18] y est peut-être pour quelque chose dans la spécialisation de l’entreprise shanghaienne sur ce type de commerce. À moins que ce ne soit l’intérêt de l’autre géant du e-commerce chinois, JD.com, de se trouver une base en Europe [19].

Mais si les perspectives et attentes sont grandes de voir débarquer à Zeebrugge d’autres entreprises chinoises, l’impact économique de celles-ci sur le port reste encore marginal, tant en ce qui concerne la valeur ajoutée Valeur ajoutée Différence entre le chiffre d’affaires d’une entreprise et les coûts des biens et des services qui ont été nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires (et qui forment le chiffre d’affaires d’une autre firme) ; la somme des valeurs ajoutées de toutes les sociétés, administrations et organisations constitue le produit intérieur brut.
(en anglais : added value)
crée, qu’en termes d’investissements [20]. Les principaux acteurs économiques du port restent en effet Fluxys (entreprise belge d’infrastructure gazière qui y gère le terminal LNG), PBI Fruit Juice Company (appartenant à Pepsico) ou encore les grandes entreprises qui assurent le trafic des véhicules (roll-in/roll-off) [21], comme la japonaise International Car Operators.

Mais les autorités portuaires [22] comptent profiter de la croissance chinoise et du dynamisme de ses entreprises pour se positionner dans la concurrence acharnée entre ports européens ; elles peuvent en tout cas compter sur l’appui d’acteurs politiques au plus haut niveau, tant en Région flamande qu’au niveau fédéral (national). Car la Belgique, elle aussi, entend profiter des opportunités créées par l’émergence du géant asiatique pour augmenter ses exportations.

Si le pays n’est pas formellement membre des nouvelles routes de la soie, il est tout de même devenu le premier pays européen à rejoindre l’eWTP [23], une initiative privée chinoise visant à faciliter le commerce en ligne et a également rejoint la Banque asiatique d’Investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
pour les Infrastructures lancée par Pékin en 2014. Preuve de l’engouement pour l’empire du Milieu, la dernière mission économique belge en Chine, en 2019, a été la plus grande de son histoire, avec plus de 300 entreprises représentées.

 Que cache (ou pas) la stratégie COSCO ?

Vu l’importance du commerce maritime – qui représente près de 90% des échanges commerciaux mondiaux – les activités de COSCO intéressent les autorités chinoises de près [24]. En tant que nouvelle puissance maritime, la Chine entend défendre ses intérêts Intérêts Revenus d’une obligation ou d’un crédit. Ils peuvent être fixes ou variables, mais toujours déterminés à l’avance.
(en anglais : interest)
face aux autres puissances maritimes dans ce secteur hautement stratégique, comme les États-Unis, garants de facto de la navigation mondiale ou l’Europe qui abrite les grandes multinationales du secteur. La stratégie de COSCO relève donc d’enjeux politiques.

Le statut « d’entreprise publique » dont les activités sont supervisées par les autorités et dont les dirigeants sont désignés par celles-ci renforce l’idée d’une gestion politique de l’entreprise. Ceci dit, on tend parfois à surestimer la capacité de supervision des autorités sur le fonctionnement des grandes entreprises d’État [25] et son caractère public est à relativiser ; la cotation Cotation Affichage public des cours de titres qui évoluent continuellement au gré des opérations d’achat et de vente.
(En anglais : valuation ou pricing)
en bourse Bourse Lieu institutionnel (originellement un café) où se réalisent des échanges de biens, de titres ou d’actifs standardisés. La Bourse de commerce traite les marchandises. La Bourse des valeurs s’occupe des titres d’entreprises (actions, obligations...).
(en anglais : Commodity Market pour la Bourse commerciale, Stock Exchange pour la Bourse des valeurs)
de ses nombreuses filiales fait que son actionnariat est bien plus diffus qu’il n’y parait. De plus, au niveau managérial, la stratégie de COSCO semble peu différer de celles de ses concurrents.

D’abord parce que la montée en puissance de COSCO dans les ports européens, comme à Zeebrugge, n’a été possible que grâce à la libéralisation Libéralisation Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur. et la privatisation des opérations portuaires des dernières décennies [26]. La plus grande autonomie des autorités portuaires par rapport aux politiques, les poussant à se comporter toujours plus comme des entreprises, a favorisé l’investissement privé et étranger, dont celui des entreprises d’État chinoises.

Ensuite, parce que la tendance à l’intégration verticale Intégration verticale Stratégie d’une firme qui acquiert ou contrôle tout ou une partie des différents stades de production et de distribution d’un bien ou service particulier, pour éviter d’être dépendante des fournisseurs ou des clients.
(en anglais : vertical integration)
dans le secteur du container [27] -qui pousse les grands transporteurs maritimes à acquérir leurs propres terminaux- a beaucoup compté dans les décisions des entreprises chinoises d’investir en Europe, et ce pour ne pas être « discriminées » dans les terminaux détenus par la concurrence locale [28].

Dans cette même idée, acquérir des terminaux portuaires, permet à COSCO de renforcer sa position et celle de l’Ocean Alliance vis-à-vis de l’alliance 2M (Moller-Marsk & MSC) qui contrôle une grande quantité de terminaux à travers le monde [29].

En tant que multinationale Multinationale Entreprise, généralement assez grande, qui opère et qui a des activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Elle est composée habituellement d’une maison mère, où se trouve le siège social, et plusieurs filiales étrangères.
(en anglais : multinational)
du commerce maritime, COSCO, comme ses concurrentes, est donc soumise à la double logique du marché concurrentiel et à celle des intérêts géostratégiques. C’est un fait qui comptera pour l’avenir du développement du port de Zeebrugge.

 Des nouvelles routes de la soie au réseau transeuropéen de transport

La présence à Zeebrugge de COSCO et de financements de la China Development Bank – deux piliers du développement des nouvelles routes de la soie [30] - mais aussi la multiplication de liaisons maritimes et ferroviaires avec la Chine, indiquent que le port flamand devient un nœud logistique des nouvelles routes de la soie en mer du Nord.

Il faut toutefois garder en tête que les nouvelles routes de la soie se concentrent d’abord dans le voisinage de la Chine (corridor économique Chine-Asie du Sud Est), puis dans l’océan indien (corridor économique Chine-Pakistan), voire sur les côtes orientales et via le canal de Suez vers la Méditerranée en ce qui concerne son volet maritime, « la route maritime de la soie du 21e siècle ». À ce titre Titre Morceau de papier qui représente un avoir, soit de propriété (actions), soit de créance à long terme (obligations) ; le titre est échangeable sur un marché financier, comme une Bourse, à un cours boursier déterminé par l’offre et la demande ; il donne droit à un revenu (dividende ou intérêt).
(en anglais : financial security)
, les ports du Pirée (Athènes, Grèce) ou de Valence (Espagne) représentent de plus grands enjeux pour COSCO en Europe.

Ce relatif éloignement géographique de l’initiative chinoise contraste avec la centralité de Zeebrugge par rapport au réseau transeuropéen de transport (RTE-T) [31], initiative d’infrastructures des institutions européennes. Le RTE-T vise l’amélioration de la « connectivité » ferroviaire, routière, fluviale et maritime du continent et pour ce faire, les institutions européennes mettent à disposition des financements via plusieurs fonds Fonds (de placement, d’investissement, d’épargne…) : société financière qui récolte l’épargne de ménages pour l’investir ou le placer dans des produits financiers plus ou moins précis, parfois définis à l’avance. Il existe des fonds de pension, des fonds de placement, des fonds de fonds qui sont proposés à tout un chacun. En revanche, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity funds sont réservés à une riche clientèle.
(en anglais : fund)
, dont le « Connecting Europe Facility » ; pour le budget 2014-2020, c’est près de 25 milliards d’euros qui ont été mis à disposition. Pour le budget pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne souhaite augmenter sensiblement ce montant, et dépasser les 40 milliards d’euros [32].

Le port de Zeebrugge, comme une centaine d’autres ports sur les 1200 que compte l’Europe [33], fait partie du « réseau central » du RTE-T, c’est-à-dire le réseau prioritaire, composé de 9 corridors logistiques, Zeebrugge se trouvant sur deux d’entre eux.

Cette position avantageuse permet donc aux autorités régionales et nationales, très impliquées dans le développement du port, d’obtenir des financements complémentaires pour le développement du port. Ce fut le cas pour la construction d’une nouvelle jetée pour véhicules ou plus récemment pour la construction du nouveau tronçon de l’A11, qui facilite l’accès au port et sa connexion avec le réseau autoroutier européen, et qui a couté 674 millions dont 260 millions financés par la Banque européenne d’investissement via un financement public-privé [34]. Infrabel, le gestionnaire du réseau ferroviaire belge, a également investi plusieurs centaines de millions d’euros [35] avec un appui européen pour l’agrandissement de quais de gare, la construction de nouvelles voies aux abords du port ou la construction de deux voies supplémentaires facilitant la circulation des trains de fret entre Bruges et Gand [36].

Acteur essentiel du développement du port de Zeebrugge, la Région flamande a quant à elle décidé en 2019 d’investir plus d’un milliard d’euros dans la construction d’une nouvelle écluse pour l’accès au port intérieur [37]. Même si l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
apportera quelques financements, la grande majorité de ceux-ci seront assurés par la région.

Logiquement, Zeebrugge entend jouer sur deux tableaux, d’une part en s’intégrant à l’initiative chinoise et d’autre part en tirant des avantages des politiques européennes. Par conséquent, le port aurait tout à gagner d’une bonne articulation entre ces dernières. Si l’Union européenne et la Chine ont décidé de mettre en place en 2015 la « EU-China Connectivity Platform », censée faciliter l’articulation des initiatives RTE-T et BRI BRI Banque des Règlements Internationaux Organisme établi à Bâle dès 1930 pour administrer les réparations allemandes après le premier conflit mondial. Elle assure aujourd’hui le rôle de lieu de réunion, de dialogue et d’accords des grandes banques centrales mondiales. Son capital est constitué par l’apport de 60 banques centrales, à commencer par celles des États-Unis, d’Allemagne, de France, d’Angleterre, de Belgique et d’Italie. Elle tente de fixer les règles de surveillance des banques privées.
(En anglais : Bank for International Settlements, BIS)
 [38], on est encore loin d’une véritable coordination puisqu’il s’agit pour l’instant de s’informer mutuellement des projets prévus.

Si l’Union européenne évalue bien les défis et opportunités que représentent les nouvelles routes de la soie chinoises [39], d’importants obstacles subsistent quant à la coopération entre les deux blocs, comme le montrent les tensions géopolitiques actuelles ou les difficultés à conclure un accord d’investissement bilatéral négocié depuis près de 8 ans [40]…n

 Conséquences pour Zeebrugge et les ports européens

Pour le port de Zeebrugge, l’arrivée de COSCO a signifié la fin du déclin du trafic container. Le développement des activités à Zeebrugge fait écho à la croissance observée du trafic dans la plupart des terminaux détenus par COSCO à l’étranger, en particulier ceux où il est actionnaire Actionnaire Détenteur d’une action ou d’une part de capital au minimum. En fait, c’est un titre de propriété. L’actionnaire qui possède une majorité ou une quantité suffisante de parts de capital est en fait le véritable propriétaire de l’entreprise qui les émet.
(en anglais : shareholder)
majoritaire et où il peut jouer à fond des synergies avec COSCO Shipping Lines et l’Ocean Alliance. Cependant, il est encore tôt pour conclure à une tendance générale, tant l’augmentation du trafic dans les ports peut être sujette à des effets conjoncturels.

Augmentation du trafic (et participation) dans les principaux terminaux CSP à l’étranger (TEU)

2016 2017 2018 2019
Zeebrugge (85%) 277 316 392 483
Le Pirée (100%) 3470 3691 4409 5158
Suez (20%) 2547 2528 2609 3161
Singapour (49%) 1809 2044 3198 5011
Busan (4,89%) 2084 3554 3758 3765

Source : rapports d’activité COSCO Shipping Ports (2016-2019)

L’arrivée de COSCO a également ouvert la voie à l’arrivée d’autres entreprises actives dans le commerce entre l’Europe et la Chine ; le rôle de Zeebrugge comme pont vers la Chine devrait donc continuer à se renforcer, l’infrastructure de base nécessaire (lignes maritimes, terminaux, parcs industriels) étant aujourd’hui fonctionnelle.

Si ce rôle de « hub chinois » permet un développement du port attirant plus d’investissements et de trafic, il pourrait avoir des conséquences moins désirables, comme l’évincement d’entreprises locales au profit d’entreprises chinoises, comme cela a pu être observé au Pirée où COSCO est présente depuis 2009 [41].

 COSCO et les entreprises chinoises sont-elles une menace pour le port ou pour la Belgique ?

Certains semblent le penser [42]. En effet, on peut aisément affirmer que les intérêts économiques servent les intérêts politiques… Si l’on admet que les intérêts politiques pèsent plus dans les décisions économiques des grandes firmes chinoises que chez leurs homologues occidentales, affirmation qu’il s’agit encore de démontrer, ce serait ici plutôt à l’avantage de Zeebrugge qu’à son détriment. En effet, si des décisions politiques ont poussé à un investissement à Zeebrugge, ce dernier sera probablement vu plus à long terme que si c’était une décision purement financière dont on connait les tendances court-termistes. De plus, dans la mesure où l’arrivée de COSCO a favorisé un écosystème lié au commerce avec la Chine, une décision de retrait du transporteur maritime aurait des conséquences négatives pour d’autres entreprises chinoises et dans une certaine mesure pour les plans économiques de Pékin.

Ceci dit, dépendre de décisions prises à plus de 7000km de distance reste hautement problématique, surtout dans le cas où les relations politiques entre la Belgique ou l’Europe et la Chine venaient à se dégrader, la situation pourrait rapidement s’inverser…

La dépendance de Zeebrugge à COSCO, bien réelle, ne semble donc pas être la menace la plus immédiate pour un port qui doit surtout se préparer activement aux conséquences du Brexit, 40% de son trafic étant lié au commerce avec le Royaume-Uni, et se relever de la chute du trafic des véhicules de près de 70% due à la crise sanitaire et, à terme, se préparer à la probable restructuration du secteur automobile. Les pourparlers avec Anvers pour une éventuelle fusion des ports [43] sont peut-être un indice que le secteur portuaire belge pourrait connaitre d’importants changements dans les années à venir…

 Assiste-t-on à une « sinisation » des conditions de travail ?

À côté des enjeux politiques, l’arrivée d’entreprises chinoises soulève la crainte d’une « sinisation » des conditions de travail [44] ; les entreprises chinoises ont en effet assez mauvaise réputation, tant elles sont habituées chez elles à un personnel discipliné et un syndicat très souvent aux ordres. À ce stade, il ne semble pas que les conditions de travail se soient fortement dégradées à Zeebrugge depuis l’arrivée de COSCO [45]. Mais pour avoir une vue sur une durée plus longue, l’expérience du Pirée est à nouveau utile.

Les conditions de travail dans les terminaux COSCO du Pirée sont difficiles et précaires et les pratiques antisyndicales courantes [46]. La « culture d’entreprise » COSCO semble donc influencer la dégradation des conditions de travail, mais des éléments extérieurs, comme la mise en place d’algorithmes de gestion qui accélèrent les rythmes de travail ou encore les statuts particuliers qui régissent les concessions portuaires (zones économiques spéciales), jouent également un rôle important. Qui plus est, l’affaiblissement de la culture syndicale parmi les plus jeunes dockers [47] contribue à cette précarisation. En ce qui concerne le cas particulier de la Grèce, la dérégulation Dérégulation Action gouvernementale consistant à supprimer des législations réglementaires, permettant aux pouvoirs publics d’exercer un contrôle, une surveillance des activités d’un secteur, d’un segment, voire de toute une économie.
(en anglais : deregulation).
du droit du travail voulue par la Troïka (à savoir les institutions européennes et le FM) a eu comme conséquence le démantèlement des conventions collectives [48] avec des conséquences très négatives sur la qualité de l’emploi et du revenu.

Il est donc difficile à ce stade d’affirmer que les conditions de travail dans les terminaux détenus par des opérateurs chinois soient pires que chez leurs concurrents ; des études comparatives et complémentaires seraient par conséquent nécessaires.

 Est-on envahi par les entreprises chinoises ?

La prise de participation des entreprises chinoises dans les ports européens -par COSCO et dans une moindre mesure par China Merchant Group (CMG)- est un phénomène plutôt récent ; en 2019, ces deux entreprises détenaient des parts dans 16 terminaux container dans 13 ports européens, pour un volume d’environ 11 millions de TEU, c’est-à-dire environ 10% du trafic (contre seulement 1% en 2007 [49]).

Au vu de l’importance de l’économie chinoise, ces chiffres ne semblent pas extravagants. Cependant, la part de marché des entreprises chinoises pourrait progresser à la faveur de l’évolution du secteur : nouveaux marchés publics, privatisation de terminaux ou fusion/acquisitions, l’importante capacité financière des entreprises d’État chinoises [50] leur donnant un certain avantage. Mais les nouvelles règles européennes de « screening » des investissements étrangers [51], visant spécifiquement la Chine, pourraient freiner ce développement…

 Penser un monde différent

Longtemps considérés comme des services publics et bastions historiques du syndicalisme, les ports, véritables nœuds de la mondialisation, sont aujourd’hui plus que jamais dépendants des grandes entreprises qui contrôlent le commerce maritime mondial et les flux Flux Notion économique qui consiste à comptabiliser tout ce qui entre et ce qui sort durant une période donnée (un an par exemple) pour une catégorie économique. Pour une personne, c’est par exemple ses revenus moins ses dépenses et éventuellement ce qu’il a vendu comme avoir et ce qu’il a acquis. Le flux s’oppose au stock.
(en anglais : flow)
logistiques.

Cette dépendance, à l’heure des nécessaires changements économiques qu’implique la crise climatique, est alarmante… D’autant que les ports dépendent du trafic pour générer du bénéfice, logique qui s’accorde mal avec la nécessité de réduire tant le transport maritime international, grand émetteur de gaz à effet de serre, que la consommation à outrance qu’il implique.

Si l’enjeu de l’emploi dans les ports et la qualité de celui-ci sont essentiels – le port de Zeebrugge génère 10.000 emplois directs et un nombre équivalent d’emplois indirects-, l’enjeu climatique est lui le grand absent des discussions sur le développement portuaire.

Pour l’instant, les autorités, tant locales qu’européennes, n’envisagent le développement portuaire qu’à travers le prisme néolibéral qui exige toujours plus de concurrence, de privatisations et de dérégulation promettant emplois et productivité Productivité Rapport entre la quantité produite et les ressources utilisées pour ce faire. En général, on calcule a priori une productivité du travail, qui est le rapport entre soit de la quantité produite, soit de la valeur ajoutée réelle (hors inflation) et le nombre de personnes nécessaires pour cette production (ou le nombre d’heures de travail prestées). Par ailleurs, on calcule aussi une productivité du capital ou une productivité globale des facteurs (travail et capital ensemble, sans que cela soit spécifique à l’un ou à l’autre). Mais c’est très confus pour savoir ce que cela veut dire concrètement. Pour les marxistes, par contre, on distingue la productivité du travail, qui est hausse de la production à travers des moyens techniques (machines plus performantes, meilleure organisation du travail, etc.), et l’intensification du travail, qui exige une dépense de force humaine supplémentaire (accélération des rythmes de travail, suppression des temps morts, etc.).
(en anglais : productivity)
. De leur côté, les acteurs du transport maritime jurent vouloir devenir « durables » ou atteindre la neutralité carbone dans un lointain avenir, et mettent en avant pour ce faire la « fausse » solution verte [52] qui consiste à remplacer le pétrole par le gaz pour faire fonctionner les navires.

Pour la société comme pour les mouvements sociaux, la question du développement des ports pose d’autres questions : comment réduire le commerce maritime international tout en garantissant de l’emploi ? Comment mener la transition vers un transport propre et le rôle des ports dans celui-ci ? Comment revenir au rôle de service public Service public Entreprise dont le propriétaire, en général unique, est les pouvoirs publics. Dans un sens plus étroit, cela peut vouloir dire aussi que cette firme publique poursuit des objectifs autres que la rentabilité, de sorte à rendre le service fourni accessible à un plus grand nombre.
(en anglais : public service)
des ports pour en transformer la logique économique ?

Il s’agit de mettre ces questions en débat, plutôt que celles qui voudraient voir dans la nationalité des investissements, et non dans les choix de société qu’ils impliquent, la racine des problèmes.