Cette année, l’Organisation Internationale du Travail
Organisation internationale du Travail
Ou OIT : Institution internationale, créée par le Traité de Versailles en 1919 et associée à l’ONU depuis 1946, dans le but de promouvoir l’amélioration des conditions de travail dans le monde. Les États qui la composent y sont représentés par des délégués gouvernementaux, mais également - et sur un pied d’égalité - par des représentants des travailleurs et des employeurs. Elle regroupe actuellement 183 États membres et fonctionne à partir d’un secrétariat appelé Bureau international du travail (BIT). Elle a établi des règles minimales de travail décent comprenant : élimination du travail forcé, suppression du labeur des enfants (en dessous de 12 ans), liberté des pratiques syndicales, non-discrimination à l’embauche et dans le travail… Mais elle dispose de peu de moyens pour faire respecter ce qu’elle décide.
(En anglais : International Labour Organization, ILO)
(OIT
OIT
Organisation internationale du Travail : Institution internationale, créée par le Traité de Versailles en 1919 et associée à l’ONU depuis 1946, dans le but de promouvoir l’amélioration des conditions de travail dans le monde. Les États qui la composent y sont représentés par des délégués gouvernementaux, mais également - et sur un pied d’égalité - par des représentants des travailleurs et des employeurs. Elle regroupe actuellement 183 États membres et fonctionne à partir d’un secrétariat appelé Bureau international du travail (BIT). Elle a établi des règles minimales de travail décent comprenant : élimination du travail forcé, suppression du labeur des enfants (en dessous de 12 ans), liberté des pratiques syndicales, non-discrimination à l’embauche et dans le travail… Mais elle dispose de peu de moyens pour faire respecter ce qu’elle décide.
(En anglais : International Labour Organization, ILO)
) fête ses 100 ans d’existence. L’occasion, entre autres, de clôturer une « initiative sur l’avenir du travail » lancée dès 2015 par son actuel Directeur général, le britannique Guy Ryder.
L’OIT
OIT
Organisation internationale du Travail : Institution internationale, créée par le Traité de Versailles en 1919 et associée à l’ONU depuis 1946, dans le but de promouvoir l’amélioration des conditions de travail dans le monde. Les États qui la composent y sont représentés par des délégués gouvernementaux, mais également - et sur un pied d’égalité - par des représentants des travailleurs et des employeurs. Elle regroupe actuellement 183 États membres et fonctionne à partir d’un secrétariat appelé Bureau international du travail (BIT). Elle a établi des règles minimales de travail décent comprenant : élimination du travail forcé, suppression du labeur des enfants (en dessous de 12 ans), liberté des pratiques syndicales, non-discrimination à l’embauche et dans le travail… Mais elle dispose de peu de moyens pour faire respecter ce qu’elle décide.
(En anglais : International Labour Organization, ILO)
voit le jour en 1919, à la Conférence de Versailles, dans la foulée de la Première guerre mondiale et de la révolution Bolchévique [1]. Ces deux événements favorisent la création d’une institution qui reste inédite sur le plan mondial pour au moins deux raisons. D’abord, parce qu’elle peut adopter des conventions internationales du travail juridiquement contraignantes [2], même si en l’absence d’un véritable pouvoir de sanction dans le chef de l’OIT (et plus largement à l’échelle internationale) ces « obligations » restent très largement théoriques. Ensuite, parce qu’elle est dotée, pour ce faire, d’une structure et d’un fonctionnement tripartites. Chaque État membre de l’OIT est en effet représenté par des délégués gouvernementaux et des délégués « professionnels » issus des « organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives » de leur pays d’origine.
Si cette institution improbable a survécu à l’échec de la Société des Nations (SDN) à la veille de la Seconde Guerre mondiale, c’est notamment parce qu’elle incarnait alors l’avenir d’un compromis tripartite qui s’imposera très largement au lendemain du conflit dans les pays industrialisés. À la veille de son centenaire, en 2019, les perspectives sont moins engageantes.
Voilà en effet plusieurs décennies que l’OIT traverse une double crise de légitimité et d’efficacité qui se renforcent mutuellement. Les raisons en sont multiples. L’essor de la mondialisation d’abord, qui a rendu les mécanismes de régulation inter-nationale de l’OIT de moins en moins efficaces. Le tournant néolibéral des années 1980, ensuite, qui a contribué à délégitimer l’interventionnisme syndical et étatique dans l’économie, et donc l’OIT, qui en était précisément l’incarnation même et l’un des principaux promoteurs au niveau mondial. Enfin, la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, qui ont privé du jour au lendemain l’organisation d’une de ses principales raisons d’être historiques : incarner une alternative au communisme
Communisme
Système économique et sociétal fondé sur la disparition des classes sociales et sur le partage des biens et des services en fonction des besoins de chacun.
(en anglais : communism)
et à la lutte des classes.
Plus récemment, c’est la « révolution numérique » et ses conséquences sur le travail qui sont perçues comme un nouveau défi pour l’organisation dans la mesure où elles fragilisent la relation d’emploi classique sur laquelle l’OIT a bâti ses instruments, son fonctionnement et plus largement son modèle de justice sociale. C’est donc dans ce contexte que l’actuel Directeur général, le britannique Guy Ryder, décide dès son entrée en fonction en 2013 de lancer une « initiative sur l’avenir du travail », destinée, selon lui, à examiner à la fois « les forces qui transforment les réalités du monde du travail ainsi que l’action novatrice que l’Organisation doit mener pour renouveler sa capacité de servir la justice sociale » [3].
Une initiative en trois étapes
L’initiative est précisée en 2015 autour d’un fonctionnement en trois étapes. La première s’est déroulée entre 2016 et 2017. L’OIT invite alors tous ses États membres à organiser des dialogues nationaux tripartites sur un ou plusieurs des thèmes qu’elle a identifiés : « Travail et société », « Des emplois décents pour tous », « L’organisation du travail et de la production » et « La gouvernance du travail ». Selon l’OIT, 168 pays ont répondu positivement à son invitation et fin 2017, 113 d’entre eux avaient effectivement participé à un dialogue national ou supranational, selon des modalités variant toutefois fortement d’un cas à l’autre. En septembre 2017, un rapport de synthèse reprenant les principaux résultats de ces dialogues a été publié [4].
Dans la foulée, l’OIT a ensuite mis en place une Commission mondiale sur l’avenir du travail chargée de « produire un rapport indépendant sur les mesures à prendre en vue d’un avenir du travail qui garantisse des emplois décents et durables pour tous ». Composée de 28 membres issus du monde politique, universitaire, patronal, syndical et de la société civile, celle-ci a remis son rapport en janvier 2019. Intitulé « Travailler pour bâtir un avenir meilleur », il contient dix recommandations structurées en trois axes : « accroître l’investissement
Investissement
Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
dans le potentiel humain », « accroître l’investissement dans les institutions du travail » et « accroître l’investissement dans le travail décent et durable ». Parmi les propositions phares : l’institution d’une « garantie universelle pour les travailleurs » qui intégrerait « les droits fondamentaux des travailleurs, un salaire assurant des conditions d’existence convenables, des limites à la durée du travail et des lieux de travail sûrs et sains » [5].
Enfin, en 2019, l’initiative doit culminer avec l’adoption d’une Déclaration du centenaire lors de la Conférence du centenaire prévue en juin à Genève, déclaration qui devrait inclure certaines des propositions contenues dans le rapport dont, idéalement, celle d’une « garantie universelle pour les travailleurs ».
Silicon Valley vs vallée du Nil
Présentée comme ouverte et représentative, en particulier par rapport à d’autres processus similaires lancés en parallèle dans des enceintes comme l’OCDE
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
, le Forum de Davos ou encore le G20
G20
Extension du G8 à d’autres pays de la planète, considérés comme importants par leur taille et leur poids politique et économique. Il s’agit de 19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Russie et Turquie) et de l’Union européenne. Créé en septembre 1999, ce groupe a pris une importance croissante avec la crise économique, étant donné qu’il apparaît que celle-ci ne peut plus être résolue par les pays du G8 seuls.
(En anglais : G20)
[6], l’initiative de l’OIT sur l’avenir du travail n’en reste pas moins critiquable sur le fond et sur la forme. D’abord, parce que, comme l’explique un syndicaliste asiatique : « Même s’il est de loin préférable que le débat ait lieu à l’OIT plutôt que dans d’autres instances, les travailleurs et en particuliers ceux du Sud y sont quand même sous-représentés alors que ce sont les premiers concernés » [7]. En guise d’illustration, il nous cite une étude réalisée par son syndicat qui a établi que sur les 17 dialogues nationaux sur l’avenir du travail organisés dans la région Asie-Pacifique à l’appel de l’OIT, seuls 7 l’ont été sur une base tripartite. Et même lorsque les syndicats sont conviés, ils ne représentent souvent qu’une minorité de travailleurs des secteurs formels, alors que l’immense majorité de la main-d’œuvre mondiale travaille dans des secteurs peu ou pas syndicalisés comme l’agriculture ou les secteurs informels.
Autre problème, les pays du Nord gardent une position privilégiée au sein de l’organisation comme en témoigne par exemple la disposition constitutionnelle qui réserve automatiquement aux dix « Etats dont la puissance industrielle est la plus considérable » un siège au Conseil d’administration de l’OIT, ou encore le fait que l’OIT n’ait connu qu’un seul Directeur général issu du Sud dans toute son histoire (et pas une seule femme), le Chilien Juan Somavia entre 1999 et 2012.
Tout ceci a conduit à un processus dont même Guy Ryder a dû admettre qu’il avait du mal à faire sens aussi bien dans la vallée du Nil que dans la Silicon Valley [8]. Plus sévère, Paul Dembinski, qui dirige le très officiel « Observatoire de la finance », à Genève, va jusqu’à affirmer que le rapport de la Commission mondiale sur l’avenir du travail « oublie un travailleur sur deux » [9] : les travailleurs indépendants et/ou informels et les travailleurs domestiques. « Le rapport propose l’extension au monde entier d’un modèle qui s’essouffle dans les pays les mieux lotis du fait de « l’uberisation » et de la fragmentation du travail » affirme-t-il. Certes, comme il l’explique, « la commission demande l’extension à tous du dialogue social, de l’apprentissage tout au long de la vie, de la couverture
Couverture
Opération financière consistant à se protéger contre un risque lié à l’incertitude des marchés futurs par l’achat de contrats d’assurance, d’actes de garantie ou de montages financiers.
(en anglais : hedge)
universelle de sécurité sociale, des conditions de travail décentes et de la garantie d’un salaire digne », mais selon lui, « l’écart avec le réel reste abyssal ».
Les limites du tripartisme
Plus largement, c’est toutefois probablement la contrainte du tripartisme qui constitue la principale limite de l’initiative de l’OIT et de l’OIT elle-même. En effet, si celle-ci accorde une représentativité aux organisations syndicales que ces dernières ne retrouvent pas ailleurs, elle en fait toutefois de même avec les employeurs. Pire même, comme l’explique le politologue britannique Benjamin Selwyn :
« Le tripartisme suppose la subordination du travail au capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
et à l’Etat. Il s’agit d’un problème persistant pour l’OIT et ses tentatives de formuler des réponses politiques à la crise à laquelle sont confrontés de larges segments de la classe ouvrière mondiale » [10].
Un tel point de départ enferme en effet inévitablement l’OIT dans la quête de solutions « gagnant-gagnant » et dans un refus « même de se confronter aux concepts d’exploitation et de lutte des classes » [11]. C’est ainsi que si l’organisation regrette bien certaines des tendances qui caractérisent aujourd’hui le monde du travail (précarisation, polarisation, …), elle n’en interroge jamais vraiment les causes, et encore moins leurs responsables. Des termes comme « capitalisme
Capitalisme
Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
», « classe » ou même « libre-échange » sont ainsi tout simplement absents du rapport de la Commission sur l’avenir du travail, alors qu’il s’agit pourtant de notions clés pour penser la situation actuelle du travail… et donc son avenir. À la place, on trouve des affirmations creuses et des constats sans causes, à l’image du passage suivant :
« En ce moment crucial, il est important de reconnaître que la mise en œuvre du contrat social mondial a été inégale dans certains pays et imparfaite dans d’autres. (…) L’une des conséquences en a été la croissance
Croissance
Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
d’inégalités préjudiciables et inacceptables entre les sociétés et aussi entre les générations, situation dans laquelle tout le monde est perdant. L’absence ou l’échec du contrat social se fait au détriment de tous » [12].
On le voit, non seulement, ce passage ne nous dit pas pourquoi la « mise en œuvre du contrat social » a été « inégale » ou « imparfaite », mais surtout, il tente de nous faire croire que cette situation s’est faite « au détriment de tous », comme si les 40 dernières années de libéralisation
Libéralisation
Action qui consiste à ouvrir un marché à la concurrence d’autres acteurs (étrangers ou autres) autrefois interdits d’accès à ce secteur.
et de dérégulations économiques et financières n’avaient pas produit des gagnants et des perdants clairement identifiables…
Comme le soulignait déjà Selwyn en 2015 : « En raison de son acceptation idéologique de la subordination du travail à l’Etat et au capital
Capital
, l’OIT nie de manière analytique que le travail soit exploité. Dès lors, elle met de côté les moyens par lesquels une résistance active à l’exploitation peut améliorer les conditions de travail des travailleurs et accroître les possibilités de sociétés plus démocratiques » [13]. Malheureusement, l’initiative de l’OIT sur l’avenir du travail ne semble pas déroger à cette règle. Entre inconséquence et irréalisme, ses conclusions peinent à être à la hauteur de la crise que traverse aujourd’hui le monde du travail (et nos sociétés en général). Quand elles ne risquent pas de les aggraver.
Article paru dans la revue "Démocratie", n°7-8, pp 10-12, Juillet-Août 2019.
Pour citer cet article : Cédric Leterme, "Centenaire de l’OIT : l’avenir du travail ou du tripartisme ?" , juillet-août 2019, disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/Centenaire-de-l-OIT-l-avenir-du-travail-ou-du-tripartisme