Il y a diversité et diversité. Celle qui frappe l’œil et celle qu’on ne voit pas. L’expatrié allogène en complet-veston badgé Commission européenne, par exemple, on ne rate pas. Le fourmillement de grands groupes économiques, c’est moins évident. Or elles sont 780 les filiales de multinationales qui ont pignon sur rue dans la région Bruxelles-Capitale, employant près de 90.000 travailleurs pour un bénéfice net de près de 2 milliards d’euros (qu’on imagine destinés pour partie au rapatriement…). C’est ce qui ressort d’une étude publiée par la revue Transnational Corporations [1], une des rares publications qui prend sérieusement au sérieux l’emprise des multinationales sur le monde contemporain – publiée, certes, en août 2012, mais vu sa faible diffusion, le coup d’œil reste d’actualité. Primo, amusant, puisque Bruxelles, apprend-on, fait partie des douze régions européennes figurant au top de l’investissement Investissement Transaction consistant à acquérir des actifs fixes, des avoirs financiers ou des biens immatériels (une marque, un logo, des brevets…).
(en anglais : investment)
dit étranger. 780 multinationales, on l’a dit, ont jugé juteux d’installer une filiale en ces murs. L’écheveau n’est pas simple à démêler. Car, secundo, qui dit filiale, dit maison-mère ou, à tout le moins, quartier général faisant fonction de tour de contrôle : tout à fait invisible, celle-là. Nos chercheurs, en croisant les données, ont néanmoins pu établir ceci : il n’existe pas moins de 420 groupes qui contrôlent – à distance, cela va de soi – au moins une filiale à Bruxelles. Et que ces 420 groupes (invisibles, insaisissables) sont, chacun d’eux, en moyenne, présents dans quelque 33 pays. Ce qui indique plutôt bien la difficulté d’organiser, syndicalement, une action collective à leur encontre. Idem pour l’autorité publique. Ah ! L’étude livre, tertio, encore une donnée qu’on qualifiera de piquante. Parmi les paramètres choisis pour évaluer la performance de ces filiales, les auteurs ont inclus celui d’avoir fait choix, par le groupe concerné, d’établir une boîte à lettres dans un paradis fiscal Paradis fiscal Territoire qui bénéfice d’un avantage fiscal (ou plusieurs) par rapport aux tarifications habituellement en vigueur à l’étranger. Le gain peut être un impôt très faible, voire inexistant, sur les hauts revenus, sur les frais d’enregistrement ou administratifs, sur le patrimoine.
(en anglais : tax havens)
. Eh bien, c’est Bruxelles qui remporte la palme, avec la cote 100% (la moyenne, pour les douze régions, où figurent également la Lombardie, l’Île-de-France et la Bavière, étant de 55%). Dans une note de bas de page, les auteurs s’en expliquent : c’est une "cote-sanction", décernée au motif que "la Belgique apparaît dans la liste de l’OCDE OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques : Association créée en 1960 pour continuer l’œuvre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de suivre l’évolution du plan Marshall à partir de 1948, en élargissant le nombre de ses membres. A l’origine, l’OECE comprenait les pays européens de l’Ouest, les États-Unis et le Canada. On a voulu étendre ce groupe au Japon, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’OCDE compte 34 membres, considérés comme les pays les plus riches de la planète. Elle fonctionne comme un think tank d’obédience libérale, réalisant des études et analyses bien documentées en vue de promouvoir les idées du libre marché et de la libre concurrence.
(En anglais : Organisation for Economic Co-operation and Development, OECD)
parmi les pays considérés comme non coopératifs" [2]. Bruxelles serait-elle cachottière ? À dessein ?

Notes

[1Carlo Altomonte, Lorenzo Saggiorato & Alessandro Sforza, "TNC’s global characteristics and subsidiaries’ performance across European regions", Transnational Corporations, vol. 21, number 2, August 2012.

[2La Belgique est entretemps sortie de cette honteuse "liste grise" – mais par une entourloupe et sans pour autant chercher à faire transparence sur ces montages d’optimisation fiscale…