L’époque est pétroleuse
Voici peu, l’info faisait la une de la presse. La British Petroleum annonçait triomphalement qu’il n’y a rien à craindre. Les réserves mondiales de pétrole sont suffisantes pour pomper sans retenue l’or noir pendant... au moins quarante ans [Financial Times, 13 juin 2007]. Le pessimiste sera sans doute porté à dire que le sursis n’est pas totalement rassurant, à peine une génération. D’autant que, l’Agence internationale de l’énergie vient de calculer que la consommation mondiale d’énergie pourrait croître de 57% d’ici à 2030 [Les Echos, 23 mai 2007]. C’est dans ce contexte que les regards se tournent vers les "biocarburants", l’inespérée bouée de sauvetage.

C’est tout simple. Au lieu de produire de la nourriture, dans un monde qui n’en a pas assez, on va, sur les terres cultivables, produire du "pétrole vert". On lira plus loin l’analyse au picrate que Fidel Castro a faite de cette dernière folie humaine. On lira aussi, entre autres, l’étude présentée par le Gresea au campus de l’Université de Lausanne sur la géo-économie de l’énergie, qui reste dominée par un partage gagnant-perdant : le Sud produit, le Nord consomme.

Consomme pourquoi ? Bertrand de Jouvenel a eu cette formule frappante : notre siècle a connu deux maux, Hitler et l’automobile. On s’est débarrassé du premier, on reste avec l’autre. "Arbeit macht Freiheit", disait le premier ; "Ma voiture, c’est ma liberté" répond, en écho, le second. Comparaison n’est pas raison, mais il y a là comme une invitation méditative. Nos paysages, notre environnement, nos villes ont été façonnés par l’automobile et ses besoins, sans qu’aucune décision, aucun débat démocratique n’ait précédé le choix de société. C’est un cadeau du marché.. Au nom de quel progrès social, économique ou culturel ? Passons.

La vogue des "biocarburants" fait, déjà, sentir ses effets. Chacun peut en faire l’expérience. Il suffit, au magasin, au rayon aliments, d’examiner la taille des emballages. C’est qu’on assiste à une lente et durable inflation des prix agricoles et, gênés aux entournures, les multinationales de l’agrobusiness (Nestlé, Danone, Hershey, Coca-Cola, etc.) cherchent à préserver leurs marges bénéficiaires, faire bonne figure à la Bourse tout en se pliant aux diktats de la grande distribution, qui ne veut pas de hausses de prix. La solution ? Comme relève le Financial Times [24 mai 2007], c’est simple, il suffit de réduire la taille du contenant, et donc du contenu, et le vendre au même prix, donc plus cher. Unilever y travaille déjà, de même que Kellogg’s. Il a lieu d’être attentif lorsqu’on fait les courses.

Attentif jusqu’aux causes de cette inflation, qui risque de se répercuter sur l’économie tout entière. Le Financial Times en distingue trois. Les problèmes dus au réchauffement climatique. La prospérité croissante des économies émergentes : on mange mieux, et plus. Et la transformation de terres cultivables en champs de pétrole vert.

C’est un business et, à ce titre, il obéit au jargon du marché. Déjà, on parle de consolidation. La multinationale de l’agrobusiness Archer-Daniels-Midlands contrôle 20% du "pétrole vert" aux Etats-Unis et dispose des "installations géantes [offrant] la flexibilité" nécessaire (moduler la production entre éthanol et produits alimentaires) pour écraser les nouveaux venus qui ont envahi le terrain alléchés par des profits garantis... dans le court terme [Wall Street Journal, 19 juin 2007]. Archer-Daniels-Midlands ? Sur la ligne de départ lorsque, l’an dernier, le gouvernement belge lançait un appel d’offres pour la construction d’unités de production de biocarburants : la Commission européenne n’a-t-elle pas défiscalisé les biocarburants afin qu’ils puissent "atteindre un prix compétitif sur le marché" [L’Echo, 21 janvier 2006] ? Il y a en général un coup de pouce, une forme d’interventionnisme étatique, lorsque le marché fait des cadeaux.

L’interventionnisme, parlons-en. Nous vivons à une époque où les richesses produites sont suffisantes pour satisfaire les besoins de l’humanité, partout. Partout, cependant, la misère s’étend. C’est tendanciel. Peut-être faut-il en chercher les raisons. Au début du 19e siècle, le philosophe Hegel s’en faisait déjà une bonne idée. Est en cause, résumait en 1954 Marcuse [Raison et révolution, traduction Editions de Minuit, 1968], notre mode de travail social qui a transformé le travail particulier de l’individu, destiné à satisfaire des besoins personnels, en un travail "abstrait et quantitatif" (l’expression est de Hegel, elle a fait florès), destiné à produire des articles pour le marché. Les inégalités dans la répartition des richesses allaient forcément croître, de même que les antagonismes. En 1800, Hegel les jugeait tout à la fois insurmontables pour la société qu’il connaissait et comme la tâche à surmonter. Cette tâche, cette réflexion restent aujourd’hui intactes. Travail social ne peut rimer qu’avec organisation sociale. Y compris entre Nord et Sud, y compris entre richesses agricoles et énergétiques.

Sommaire

 Edito : L ’époque est pétroleuse/Erik Rydberg

 Fidel répond à Bush, Ford et General Motors/Fidel Castro

 Le Mexique paie le maïs importé au prix fort/John Burnstein et Manuel Perez Rocha

 Comment réduire la dépendance pétrolière/Renatus Nji

 L’essence dans la voiture au détriment du repas sur la table/Moyiga Nduru

 Biocarburants contre cultures vivrières/Sarah McGregor

 Une géoéconomie de l’énergie/Bruno Bauraind

 Pour en savoir plus/Marc François

 La presse parle du Gresea

 

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