Carte d'identité

Secteur Mines
Naissance BHP (1895) Billiton (1860), fusion en 2001
Siège central Melbourne
Chiffre d'affaires 51,4 milliards d’euros
Bénéfice net 7,3 milliards d’euros
Production Métaux industriels (Fer, Nickel, Cuivre, Aluminium…), Charbon, Pétrole…
Effectifs 91.587 personnes
Site web https://www.bhp.com/
Président Mike Henry
Actionnaires principaux (septembre 2024): Vanguard Group (5, 49%), Computershare Ltd. (4, 54%), AustralianSuper Pty Ltd. (3, 6%), Macquarie Investment (2, 27%)
Comité d'entreprise européen non

Ratios 2023

 
Marge opérationnelle % 31,51
Taux de profit % 17, 49
Taux de solvabilité % 22, 89
Taux de dividende % 97, 19
Part salariale % 18, 19
Taux de productivité (€) 281.665
Fonds roulement net (€) 5, 3 milliards euros

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* Les années fiscales de BHP Group sont publiées de juin à juin

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Historique

BHP est l’une des firmes majeures de l’histoire économique australienne. Précurseure dans l’industrie minière et minéralurgique, la firme qui fêtera ses 135 ans en 2020 est désormais le plus grand mineur diversifié au monde, largement tiré par le boom asiatique des années 2000, et avec la spécificité d’être à la fois présent dans les métaux, le charbon et le pétrole. Mais BHP est également un symbole des pratiques des sociétés transnationales : antisyndicalisme, lobbying, fusions-acquisitions, optimisation fiscale, dégradation environnementale et greenwashing.

Photo : Port Hedland The Mining Port Of North West Australia. Harry and Rowena Kennedy (CC BY-NC-ND 2.0) https://www.flickr.com/photos/harryandrowena/33084783761/in/photostream/

L’histoire de BHP prend sa source en Nouvelles Galles du Sud (Australie). En 1883, un ancien officier allemand déserteur, du nom de Charles Rasp – probablement un pseudonyme – alors gardien de clôture (boundary rider) découvre un gisement de plomb et d’argent à Broken Hill. Deux ans plus tard, la Broken Hill Proprietary Company Ltd. (BHP Company) est lancée en association avec George McCulloch, un homme d’affaires d’origine écossaise et propriétaire des terres en question. En moins de 5 ans, la mine produit le tiers de la production d’or mondiale. Les mines de plomb et d’argent de Broken Hill compteront parmi les plus importantes au monde jusque dans les années 1950.

Les mines australiennes, terrain de lutte dès la fin du XIXe siècle.

L’histoire de l’Australie est intimement liée à celle du secteur extractif. À la fin du XIXe siècle, les gisements sont surtout exploités manuellement et la main-d’œuvre nécessaire ne cesse de croitre. Le climat aride de la région crée des conditions de travail difficiles. Les incendies sont fréquents dans les mines souterraines. À Broken Hill, l’exploitation du plomb sans mesures de sécurité et les poussières présentes sont la cause de nombreuses maladies. C’est dans ce contexte qu’apparait la première organisation de travailleurs à Broken Hill, l’AMA (Amalgated Miners’ Association) en 1888.

Les mouvements de grève dans l’industrie minière, et au-delà [1], sont fréquents au cours de la décennie 1890 en Australie. Ce fut le cas à Broken Hill en 1889 (10 jours d’arrêts de travail) et en septembre-octobre 1890 (4 semaines), dans un mouvement à la suite duquel les travailleurs obtiennent la semaine de 46 heures au lieu de 48. Une grande grève a lieu quelques années plus tard. Les cours des métaux sont en chute et les engagements pris par les dirigeants miniers ne sont pas respectés (rémunérations, conditions de travail, promesse d’engager des travailleurs syndiqués). 6.000 mineurs cessent le travail entre juillet et novembre 1892. Mais la répression l’emporte. Résultat : 7 leaders syndicaux arrêtés et jugés. Leur faute : avoir « conspiré pour empêcher les sujets de la Reine de suivre leur obligation légale » [2]. Six d’entre eux sont emprisonnés et condamnés à des peines de 2 mois à 2 ans de prison. La même année, le patronat reprend la main et la durée hebdomadaire du travail est ramenée à 48h pour les mineurs. À cette période, BHP n’hésite pas à payer des briseurs de grève.

Au cours de la décennie 1890, la répression contre les syndicats s’amplifie, aidée par la force publique. L’État prend cause pour les employeurs, n’hésite pas à envoyer ses propres troupes pour seconder le patronat, et ne trouve rien à redire à l’emprisonnement de leaders syndicaux.

Pendant les premières décennies de son exploitation, le gisement de Broken Hill est arrêté à plusieurs reprises, car non rentable du fait de la conjonction de différents facteurs : coût de la main-d’œuvre, cours des minerais et concentration en minerais variables selon les zones de la concession. L’entreprise met rapidement en place une politique pour acquérir les connaissances suffisantes dans les méthodes d’extraction, et surtout pour la réduction et le raffinage des métaux en embauchant des spécialistes, notamment américains et britanniques.

Au total, plus de 1,4 million de tonnes de minerais de fer sont extraites à Broken Hill lors des 15 premières années d’exploitation. Les métaux sont pour partie exportés vers l’Europe, jusqu’à la construction d’une raffinerie pour l’argent, le plomb et le zinc en 1890 à Port Pirie. BHP ouvre d’autres gisements d’importance au début du XXe siècle (Iron Knob, Iron Monarch et Whyalla notamment) et augmente rapidement les quantités extraites.

L’Arbitration and conciliation act est proclamé en 1904 avec l’aide du parti travailliste créé quelques années auparavant. Il autorise les syndicats à trainer les employeurs devant les tribunaux – malgré l’opposition des entreprises qui clament alors qu’une telle législation risque d’augmenter le coût du travail et d’en réduire l’efficacité [3]. Cette législation joue un rôle important en instituant des tribunaux aux niveaux nationaux et régionaux, une identité juridique aux syndicats, et en leur garantissant le monopole organisationnel dans certains secteurs déterminés. Bien que la plupart des organisations de travailleurs aient préexisté à 1904, elles vont dès lors être officiellement reconnues.

La décennie 1900 marque le retour de la croissance. Les syndicats se multiplient, en continuité des mouvements des années 1880, et cela dans tous les secteurs : industrie, mines, élevage, bois, marine, etc. Malgré ce regain de participation aux organisations de travailleurs, les employeurs vont farouchement s‘opposer à la mise en application de l’Arbitration and conciliation act en multipliant les recours juridiques pour retarder les jugements et en faisant appel des décisions judiciaires. Les menaces de délocaliser des activités dans d’autres provinces n’ayant pas encore adopté le système d’arbitrage, l’installation de nouvelles machines, le remplacement des hommes par des femmes, moins chères, le recourt à la sous-traitance [4] ou la création de syndicats factices, « apolitiques », pour contrecarrer les organisations existantes font partie des pratiques des entreprises pour mettre à mal la législation et finalement fortement réduire sa portée.

En 1902, BHP met au point un procédé de flottation par moussage pour extraire le zinc : le procédé Potter-Delprat [5]. D’autres procédés pour la séparation des métaux, la métallurgie et la minéralurgie seront mis au point par la suite et feront de Broken Hill l’un des centres mondiaux de l’innovation dans le secteur. Les équipements mécaniques sont également développés tant sur les gisements que pour la logistique et le transport des minéraux (équipements mécaniques miniers, transports maritimes, lignes de chemin de fer).

Le climat social demeure tendu en ce début de XXe siècle, des grèves éclatent régulièrement de 1908 à 1920 en Australie. Fin 1908, Delprat annonce aux travailleurs de BHP que leurs salaires seront revus à la baisse tandis que les dividendes distribués aux actionnaires augmentent. Le 1er janvier 1909, les ouvriers refusent de travailler jusqu’à ce que les salaires reviennent à leur niveau de 1908. Les renforts policiers sont rapidement appelés pour briser le mouvement (photo ci-après). En mars, la cour donne raison aux mineurs. La grève perdure jusqu’en mai 1909 [6]. Malgré cette décision, et comme en 1892, BHP réduit sa main-d’œuvre et place les « fauteurs de troubles » sur liste noire.

L’adhésion aux syndicats est toujours combattue par les employeurs malgré la nouvelle législation. Ainsi ; en 1912, à Brisbane, une grève générale impliquant plusieurs dizaines de milliers de travailleurs éclate à la General Electric Company of the United Kingdom qui gère alors les tramways. Broken Hill se joint au mouvement et forge sa réputation de bastion du syndicalisme australien à cette époque [7]. En 1914, on compte 54 organisations de travailleurs différentes à Broken Hill, regroupant plus de 7.402 membres.

The Strike, 1909, Broken Hill. Police marching off the BHP lease on 4 January 1909. National Museum of Australia http://collectionsearch.nma.gov.au/object/33996

BHP et les deux guerres

En 1915, BHP ouvre une aciérie à Newcastle en Australie, le premier équipement de ce type dans le pays qui doit jusqu’alors importer de l’acier malgré ses riches ressources souterraines. Les capacités de production de BHP croissent rapidement avec les besoins militaires pour soutenir les alliés lors de la Première Guerre mondiale.

Mais la guerre ne va pas réduire la conflictualité au sein des industries. Les salaires sont abaissés en 1914 et 1915, pour soutenir l’effort de guerre. Une grève des mineurs du charbon a lieu en 1916, causant une pénurie dans plusieurs États. Les travailleurs grévistes sont taxés d’« antipatriotismes ». En 1917, l’Australie subit une nouvelle grève générale, à l’initiative des travailleurs des tramways, rapidement rejointe par les industries et le secteur minier. Les effectifs syndiqués s’accroissent spectaculairement : ils comptent quatre fois plus de membres en 1918 qu’en 1906 [8]. BHP maintient sa stratégie antisyndicale consistant à renvoyer des représentants syndicaux à suspendre ceux qui participent à des réunions de travailleurs et à refuser toute négociation directe avec le syndicat [9].

Malgré les accusations d’antipatriotisme à l’encontre des syndicats, la Première Guerre mondiale voit une proportion d’appelés aux combats plus forte parmi ses membres. 43 % des effectifs militaires sont alors syndiqués : plus que la proportion de syndiqués dans la population qui tourne autour des 20 %. À la fin de la Grande Guerre, les mineurs de Broken Hill sont organisés. Les membres des syndicats pénètrent les gouvernements locaux [10].

BHP profite largement de l’effort de guerre pour étendre ses activités et ses capacités de production. Mais au début des années 1920, l’Australie, et BHP, se trouvent en surcapacité. L’Angleterre et l’Allemagne ont en effet augmenté leur production pendant la guerre et l’Australie se trouve dans une situation de baisse de la demande extérieure. Le directeur de BHP d’alors, Essington Lewis, décide de renégocier à la baisse les prix du charbon et de prendre en charge son extraction. Lewis décide également de fermer pendant plusieurs mois l’aciérie de Newcastle, provoquant une hausse du chômage dans la région [11]. À cette occasion, les salaires sont revus à la baisse et la durée de travail hebdomadaire repasse à nouveau à 48h/semaine, payées 44h. L’entreprise retrouve les profits et les actionnaires de généreux dividendes. Pendant les années 1920, Lewis acquiert des activités dépendantes de l’acier de BHP si bien qu’au tournant des années 1930, BHP est la plus grande entreprise industrielle australienne diversifiée : vente des sous-produits métallurgiques, bitume, huile bitumineuse, ammoniaque concentrée, sulfate d’ammoniac, benzol, toluol, solvants, et dispose de différentes usines pour la fabrication de fils, de traverses chemin de fer/ rail, d’un laminoir, etc. Pendant les années 1930, avec la grande dépression, BHP réinvestit les mines d’or avec l’aide de subventions du gouvernement [12].

La première acquisition d’importance a lieu en 1935. BHP avale son rival Australian Iron and Steel, lui permettant de mettre la main sur l’aciérie de Port Kembla, récemment construite [13]. Cette fusion fait alors des vagues : des parlementaires accusent BHP de vouloir créer un trust et demandent sa nationalisation [14].

BHP va à nouveau être mis à contribution pour l’« effort de guerre ». En 1934, Essington Lewis se rend au Japon. Il constate que l’île dispose de capacités importantes pour la production d’avions militaires. À son retour, il est persuadé que le Japon prépare la guerre et lance BHP dans la production d’équipements militaires et d’avions pour l’Australie. Une tâche qui sera mise en œuvre par un consortium : la Comonwealth Aircraft Company (avec General Motors Holden – la filiale australienne de GM, BH Associated Smelters, Orient Stream navigation Company, et d’autres compagnies minières). Cela n’empêchera pas BHP d’exporter du fer et de la fonte brute en Allemagne et au Japon pendant les années 1930 [15]. L’Australie interdit l’exportation du fer vers le Japon en 1938 [16].

En 1939, la mine de Broken Hill cesse ses activités. En 54 ans, 12,3 millions de tonnes de minerais auront été extraites pour un montant de 54 millions de livres, faisant de BHP la plus grande entreprise du pays.

La construction d’avions de combat débute en 1939 avec le Wirraway. Ces avions servent à partir de 1941 lorsque le Japon entre en guerre. Mais trop lents, ils sont rapidement balayés lors des combats. De nouveaux avions plus performants sont construits à partir de 1942. BHP est également impliquée dans la construction navale. En 1941, BHP possède sa troisième aciérie, à Whyalla avec l’idée d’accroitre ses capacités (machines, voitures, avion, bateaux, tramways, voies ferrées) lors de la Seconde Guerre mondiale. Comme lors de la Première, la Seconde Guerre mondiale permet un enrichissement important des industries de l’acier.

La posture antisyndicale de BHP n’en est pas moins modifiée. En 1940, alors que les usines de BHP sont touchées par une rupture d’approvisionnement en charbon, la grande aciérie de Newcastle doit interrompre son activité. BHP en profite pour ne pas réengager les dirigeants syndicaux [17].

Nouvelles diversifications : charbon et pétrole

Après 1945, BHP entame une diversification dans le pétrole, le charbon, le cuivre, les diamants et l’étain. Les secteurs des mines et de l’acier sont toujours aussi conflictuels. En 1946, une grève y éclate, d’autres secteurs suivent le mouvement et réunissent près de 500.000 travailleurs [18].

Les recherches de gaz et de pétrole s’intensifient au milieu des années 1950. BHP ne souhaite pas que des concurrents trouvent des gisements à proximité de ses bassins charbonniers, près de Sydney. Mais les prospections demeurent infructueuses. Le gouvernement subventionne pour partie les recherches de gisements miniers et pétroliers, dans un contexte de forte croissante, afin de sécuriser les approvisionnements du pays.

Les effectifs salariés de BHP croissent. De 30.000 travailleurs en 1956, ils passent à près de 55.000 une décennie plus tard. D’importants gisements de fer sont développés dans le Pilbara (Australie occidentale), de manganèse en Australie du Nord et de charbon dans le Queensland, donnant à BHP l’opportunité de devenir exportateur de charbon ̶ qui jusqu’ici servait principalement pour les sites métallurgiques de Nouvelle-Galles-du-Sud. Le gisement de Pilbara, à Mount Whaleback, est l’un des plus grands open pit au monde. Le marché intérieur australien ne suffit pas à absorber la production minière. BHP développe ses exportations.

L’antisyndicalisme de BHP est toujours à l’œuvre. En 1961, après le licenciement d’un représentant syndical, une réunion des travailleurs est organisée sur le temps de midi, mais se trouve réprimée par BHP qui menace de licencier tous les participants. C’est l’effet contraire qui se produit et de nombreux ouvriers cessent le travail. La Cour donne raison à BHP et demande la reprise du travail. Les délégués impliqués ne seront pas réintégrés et les mouvements de grève et de protestation s’intensifient pendant les mois qui suivent. Un pamphlet intitulé « The Steel Octopus » [19] est publié cette même année par le parti communiste australien, présentant BHP comme une pieuvre étendant ses tentacules sur l’économie australienne.

Dans les années 1960, l’accès aux voitures pour les travailleurs est développé, ce qui modifie la répartition de ceux-ci autour des sites miniers. Le modèle des « villes-entreprises » avec un contrôle de l’entreprise sur la vie des travailleurs se réduit. BHP développe sa communication à cette époque. L’idée est de montrer que BHP est bénéfique pour la société australienne dans son ensemble et participe pleinement à la prospérité postguerre. Dans le contexte de guerre froide et de chasse au communisme, les grandes industries australiennes, BHP en tête, développent l’image d’entreprises familiales, protectrices, libérales et inclusives [20].

Les années 1960 marquent un tournant dans l’histoire de l’entreprise. En 1963, BHP s’associe à Esso pour extraire du pétrole en mer, dans le détroit de Bass. Du gaz naturel est découvert en 1964-65, puis un important gisement de pétrole en 1967. Le gouvernement Menzies-Mc Ewen accepte de payer la moitié des frais d’exploration dans le détroit de Bass. Cette seule découverte permet à l’Australie d’être autosuffisante à 70 % et de faire face à la crise pétrolière en 1973-74.

En 1968, un gisement de fer est développé à Mount Newman, à l’ouest de l’Australie. À cela s’ajoute la construction d’une ligne de chemin de fer jusqu’à l’Océan indien, à Port Hedland, qui devient le plus grand port d’Australie et l’un des plus importants ports pour cargos vraquiers au monde. En 1976, BHP acquiert des champs pétroliers et gaziers à Burmah’s oil dans les eaux nord-australiennes en partenariat avec Shell.

Le contexte social n’en est pas pacifié pour autant. Les grèves se multiplient dans le Pilbara. Un manager de BHP explique en 1976 : « cette entreprise n’a perdu que 5 jours de production au cours des 7 dernières années du fait de problèmes mécaniques tandis que sur les 12 derniers mois, nous avons eu 60 jours de grève à 1 million de dollars la journée  » [21]. Certaines années, c’est un sixième de la production qui est perdue avec les mouvements de grèves dans le Pilbara.

The Big Australian

Les années 1970 voient BHP jouir d’une situation de quasi-monopole en Australie. La firme bénéficie de tarifs douaniers la protégeant des exportations. C’est vers la fin de la décennie que BHP va progressivement être nommée « The Big Australian ».

En 1983, le gouvernement travailliste de l’ALP, qui avait jadis œuvré à la reconnaissance des syndicats, se lance dans un programme de dérégulation financière, laisse le dollar australien flotter librement et revoit à la baisse les droits de douane pratiqués. Le tournant néolibéral touche l’Australie.

C’est dans ce contexte qu’en 1984, BHP acquiert Utah International (une minière américaine alors sous contrôle de General Electric) pour 2,4 milliards de dollars. BHP devient un exportateur majeur de charbon (en récupérant les mines du Queensland d’Utah International) et étend ses opérations aux États-Unis, Brésil, Canada, Afrique du Sud et Chili. 1984 marque l’avènement de BHP comme société multinationale. Les importants gisements de charbon australien de la firme américaine et ses activités internationales sont les deux raisons principales à cette acquisition. Utah était alors une plus grande entreprise que BHP, mais ne faisait plus partie des plans de General Electric qui voulait s’en débarrasser en raison du caractère cyclique de ses activités. Dès la première année, Utah représente 20 % des revenus de BHP.

Les acquisitions se multiplient dans les années qui suivent. Energy Reserve Group rejoint BHP Petroleum en 1985, de même que Monsanto Oil. Hamilton Oil, qui exploite le pétrole en mer du Nord, est absorbée à 51 % en 1987 (les 49 % restants le seront en 1991), suivie d’une raffinerie de pétrole, d’installations gazières ainsi que d’une unité de vente de pétrole à Pacific Resources Inc. en 1989, puis d’autres actifs dans le gaz et le pétrole au début de la décennie 1990.

En 1986, BHP devient la première entreprise du pays à déclarer des profits dépassant le milliard de dollars australiens. L’exploitation minière et l’acier sont les activités principales de BHP, qui n’aura cependant pas hésité à se diversifier (ciment, assainissement de l’eau, pétrole, etc.), se séparer d’activités et lever des capitaux, ajoutant une logique financière et de gestion d’actifs à sa stratégie industrielle. Dans les années 1990, les exportations sont priorisées, mais à la différence des années 1960, cela devient la stratégie première de l’entreprise et ne résulte pas d’une incapacité du marché domestique à absorber les productions de BHP. L’Australie n’est plus le marché principal de BHP, désormais implantée dans 50 pays.

En 1990, la mine d’Escondida au Chili, l’un des plus importants gisements de cuivre jamais exploité, entre en production. Les parts de BHP dans le projet la propulsent parmi plus importants producteurs de cuivre au monde. BHP délaisse quelque peu les activités métallurgiques dans les années 1990 en désinvestissant son usine de Whyalla et en fermant l’aciérie de Newcastle en 1999.

En 1994, la mine de charbon de Moura en Australie subit une violente explosion. 11 travailleurs décèdent et BHP est accusée de négligence par les familles [22]. La même année, BHP annonce un record de profit annuel de 1,28 milliard de dollars [23].

Le scandale d’OK Tedi en Papouasie Nouvelle-Guinée
 
BHP exploite la mine d’OK Tedi depuis 1975 en joint-venture avec une entreprise nationale papoue. Dès 1983-85, des problèmes avec le barrage de rétention situé, comme la mine, dans une zone sismique sont mis en évidence. Un glissement de terrain rend la fin de sa construction impossible. Le gouvernement de Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG) autorise la poursuite de l’exploitation et le déversement d’une partie des résidus dans les rivières environnantes, au risque de détruire son écosystème. Le programme des Nations Unies pour l’environnement publie un rapport sur la mine en 1988 [24]. L’année suivante, le libre déversement des résidus miniers dans les rivières est interdit. Mais BHP ne change rien à ses pratiques. Au contraire, la production maximum est atteinte en 1990 tandis que les protestations locales se multiplient du fait de la diminution des populations de poissons dans les rivières et des effets pervers pour l’agriculture. En 1992, les leaders des communautés Yonggom se rendent au Sommet de la terre à Rio et font connaitre internationalement la situation. L’image de la firme s’en trouve durablement écornée. En 1994, la mine ne compte plus que pour 20 % des exportations de PNG [25] contre 42 % en 1988.
 
En 1995, une action en justice des habitants d’Ok Tedi devant une cour à Melbourne obtient gain de cause pour dégradation de leur environnement. BHP argue, par l’entremise de ses avocats, que les populations indigènes, n’utilisant pas d’argent dans leur système de subsistance, ne peuvent réclamer de compensations monétaires [26], ce que la cour refuse d’entendre. BHP tente de régler le différend directement avec les populations à la suite de cette décision, engage un lobbying pour faire réviser la loi de PNG afin d’interdire les procédures judiciaires dans de tels cas de figure, mais sans succès. Finalement, BHP obtient un règlement hors tribunal en 1996, s’engage à mettre en place un système de retenue des déchets et à compenser financièrement les populations environnantes. Mais les poursuites reprennent 4 ans plus tard à propos du système de retenue toujours inefficace.
 
BHP voit ses actions chuter en bourse de 20 à 12$ australiens en quelques mois suite au problème Ok Tedi [27]. En 2002, après la fusion avec Billiton, BHP annonce les transferts des 52 % qu’elle possède dans le gisement à un programme de développement durable papou. BHP fait signer un accord de non-poursuite judiciaire à des groupes locaux. Mais en 2007, un groupe ayant refusé cet accord porte à nouveau plainte contre BHP et l’opérateur de la mine OK Tedi Mining, une action collective qui regroupe 13.000 personnes. En 2014, une cour de PNG ordonne la fin des rejets de stériles et résidus dans les rivières, après 40 ans d’exploitation.

Fin 1995, BHP acquiert Magma Copper Company (États-Unis) et devient le deuxième producteur de cuivre au monde. Mais l’aventure s’avère coûteuse pour BHP puisque les cours du cuivre chutent peu après. Les pertes liées à cet investissement sont estimées à 4 milliards de dollars pour BHP.

La fin des années 1990 est une période difficile pour l’entreprise qui voit les déboires s’accumuler. En plus de l’épisode OK Tedi, la baisse des cours des métaux et du pétrole contraint le groupe australien à fermer plusieurs sites : 400 travailleurs sont ainsi licenciés à Pinto Valley et 2.200 à San Manuel en Arizona (ex-Magma), l’une des plus grandes mines souterraines d’Amérique du Nord. La concurrence des aciéristes coréens, la crise financière asiatique et le ralentissement économique qui s’en suit plombent les activités de BHP dans une région qui représente la moitié de ses ventes. C’est également une série d’acquisitions et d’investissements hasardeux lors des années précédentes (mine de Beenup en Australie dont les hauts niveaux d’argile et de sable abrasif ne permettent à l’usine de fonctionner qu’à 60 %, mine de Hartley au Zimbabwe dont la production est inférieure aux attentes) qui conduisent BHP à annoncer un résultat en perte de 1,4 milliard de dollars en 1998 (la deuxième année de perte en plus d’un siècle d’existence).

L’usine de production de fer préréduit (HBI) de Port Hedland, acquise pour 2,4 milliards de dollars et mise en production en 1999, subit à son tour la chute des cours et s’ajoute à la liste des investissements non rentables du groupe. En 1999, les mythiques aciéries de Newcastle, qui avaient fait la fortune de BHP au début du XXe siècle, ne sont plus compétitives et ferment. BHP restructure ses activités, se sépare de ses actifs les moins performants et se concentre là où ses marges sont les plus élevées.

BHP + Billiton : naissance du premier mineur au monde

En 2001, BHP fusionne avec Billiton. Ce rapprochement peut se lire comme une réponse à la montée en puissance des grandes compagnies extractives chinoises et comme une bonne anticipation de l’appétit du pays pour les matières premières. Les activités des deux minières sont complémentaires : BHP est dans une position forte pour le cuivre, le fer et le charbon, tandis que Billiton est bien placé dans l’aluminium et dispose d’une meilleure couverture géographique que BHP.
La nouvelle entité fait l’objet d’une double cotation, à Londres et à Sidney, dans deux entités séparées (BHP plc et BHP Limited) et toutes deux sous la coupe de BHP Billiton. Les deux sociétés ont un conseil d’administration, une équipe dirigeante unifiée et une politique identique envers les actionnaires. Cette double cotation vise à garder une base solide en Australie tout en élargissant les possibilités de financement.

Une réorganisation est rapidement lancée. La nouvelle entreprise est divisée en 7 unités. Le charbon sidérurgique et le charbon thermiques sont par exemple séparés, tandis que les activités nécessaires à la production d’acier (charbon, fer, manganèse) sont regroupées. Les actifs de BHP dans le fer et l’acier sont séparés dans deux sociétés : One Steel (produits longs : rails, câbles, tubes, etc.) et Bleu Scope Steel (produits plats : tôles, plaques). Le seul lien restant est le fait que Blue Scope achète 60 % de son charbon et de son minerai de fer à BHP Billiton. Le groupe se concentre sur l’extraction plutôt que la transformation des minerais.

Billiton et Glencor, deux branches dans la généalogie de BHP
En 1851, des explorateurs néerlandais découvrent des gisements d’étain sur l’ile de Billiton (Belitung), dans l’archipel indonésien (Indes occidentales néerlandaises). En 1860, la NV Billiton Maatschappij est établie à La Haye. L’entreprise est mieux connue en Angleterre comme la Billiton Tin Company. Elle devient rapidement l’un des premiers producteurs d’étain au monde.
 
L’étain est exploité par la compagnie à renfort de main-d’œuvre chinoise. L’île, inhabitée avant l’arrivée des Néerlandais et seulement fréquentée par des pêcheurs malaisiens, compte 42.000 habitants en 1910, dont 12.000 Chinois. D’abord traité sur place, l’étain est envoyé dans des fonderies à Singapour dans les décennies suivantes, puis à Arnhem, aux Pays-Bas, à partir de 1928.
 
En 1942, le Japon prend le contrôle de l’île et de ses ressources jusqu’à la fin de la guerre. À partir de 1958, la nouvelle République indonésienne devient propriétaire de la mine. À ce moment, les dirigeants de Billiton ont déjà migré vers l’exploitation d’autres minéraux, comme la bauxite. La firme minière est également présente au Suriname à partir de 1942 (colonie néerlandaise d’Amérique du Sud jusqu’en 1975) où elle exploite la bauxite à grande échelle au cours de la 2e GM. Le Suriname fera partie des 3 premiers producteurs de ce minerai jusqu’au milieu des années 1960.
 
En 1970, Billiton est absorbée par une autre entreprise néerlandaise, la compagnie pétrolière Royal Dutch/Shell, alors désireuse de se diversifier. Outre le fait que les deux entreprises dans le pétrole et l’étain partagent certains traits du fait de leur activité extractive, le mariage est d’autant plus commode que la famille royale néerlandaise entretient des liens financiers tant avec Shell qu’avec Billiton.
 
Billiton, filiale de Shell, est renommée Billiton international et étend ses activités dans le monde, avec l’aluminium comme principal produit. Une fonderie est ouverte au Brésil et des intérêts acquis en Australie près de Perth, dans l’une des zones les plus riches en bauxite.
 
En 1994, Shell décide de se concentrer sur le pétrole et se sépare de ses activités minières. Gencor, une entreprise minière sud-africaine, rafle les actifs de Billiton. Gencor est issue de la fusion de General mining & finance corporation et d’Union Corporation en 1980. Ces deux entreprises ont été historiquement présentes dans l’exploitation de l’or dès le début du XXe siècle dans le Witwatersrand, au sud de Johannesburg, l’une des plus importantes zones de production d’or jamais connues.
 
En 1997, Gencor scinde ses activités. Les actifs dans l’aluminium, le charbon, le cuivre et le nickel sont regroupés et cotés à Londres. La nouvelle entreprise prend le nom de Billiton PLC, bien connu de la place londonienne depuis 1860 et internationalement renommé pour ses activités minières. En 2001, Billiton fusionne avec BHP.

En 2001, le groupe nouvellement fusionné noue un partenariat avec Mitsubishi pour extraire du charbon australien. En 2005, la BHP Billiton Mitsubishi Alliance (BMA) compte pour le quart des exportations de charbon australien et près du tiers du commerce maritime mondial de charbon à coke destiné à l’industrie sidérurgique.
En mai 2004, une explosion a lieu dans l’usine de production de fer préréduit (HBI) de Port Hedland, due à une fuite de gaz et faisant suite à plusieurs problèmes techniques depuis la mise en route de l’usine [28]. Un travailleur décède tandis que 3 autres sont gravement brulés. L’usine est définitivement fermée en 2005. BHP est condamnée en 2006 pour négligence.

En 2005, BHP Billiton absorbe WMC (Western Mining Company, un mineur australien) et son gisement géant de cuivre (le 4e plus grand au monde), d’uranium (plus important gisement au monde) et d’or à Olympic Dam. WMC est alors le 3e producteur mondial de nickel et dispose d’un accord pour fournir la Chine. Cette opération permet à BHP de devenir l’un des principaux producteurs d’uranium au monde. Le gisement d’Olympic Dam est la source de controverses dans les relations avec les populations aborigènes. Les activités de WMC, puis de BHP, ignorent le caractère sacré de certains sites. La consommation des ressources en eau du bassin du lac Eyre – dans lesquels plusieurs dizaines de millions de litres d’eau sont puisés chaque jour [29] – et les risques liés aux radiations présentes sur le site uranifère participent de ces tensions.

En 2006, et dans l’optique de pouvoir répondre à la demande d’une Asie en forte croissance, BHP noue une alliance avec le mineur russe Norilsk Nickel pour développer des projets miniers en Russie [30]. La Russie devient cliente de l’uranium d’Olympic Dam. BHP présente un troisième record consécutif de profit annuel en 2006.

Cette situation de profit récurrent conduit les syndicats à réclamer des hausses de salaire sur de nombreux sites du groupe. En août 2006, 2.000 travailleurs arrêtent le travail à Escondida, au Chili. Peu après, le groupe annonce un profit de près de 3 milliards de dollars pour la plus importante mine de cuivre au monde. Après 25 jours de grève qui auront coûté plus de 200 millions de dollars à BHP, les travailleurs obtiennent un accord qui les place parmi les mieux payés d’Amérique du Sud [31].

Fly-in Fly-Out (FIFO), nouvelle pratique des minières
Les années 1980 marquent le début d’une nouvelle pratique pour les travailleurs des mines en Australie, la fly-in fly-out (FIFO), qui va prendre une ampleur considérable avec le boom minier des années 2000 [32]. Les entreprises proposent de nouvelles conditions aux travailleurs, notamment sur des sites miniers reculés et éloignés des centres urbains. Les compagnies minières décident d’exploiter les mines 7 jours sur 7, 24 h par jour avec des shifts de 12 h. Il s’agit, en contrepartie d’une meilleure rémunération, de faire venir les travailleurs sur le site pendant plusieurs jours/semaines consécutives, généralement par avion, puis d’accorder une ou deux semaines de repos au cours desquelles le travailleur retrouve son domicile. Auparavant, des villages étaient aménagés pour les travailleurs.
 
Cette pratique s’est surtout développée au Canada et en Australie. Elle est pointée pour les risques psychosociaux associés, liés à la durée des périodes de travail, à l’éloignement social et familial, ainsi qu’aux allers-retours et voyages incessants.
Une enquête parlementaire avait été menée en 2014-2015 en Australie sur cette question. Les conditions ne semblent pas s’être améliorées depuis. De nombreux cas de suicides ont été rapportés (plusieurs par jour dans l’industrie minière australienne) [33] et on observe un doublement des cas de dépression chez les travailleurs FIFO par rapport au reste de la population. Désormais, certains gisements ne recourent plus qu’à ce type de contrats. Cela ne manque pas de créer des remous auprès de communautés locales – qui ne profitent que très peu des possibilités d’emploi sur les sites –, mais également pour les syndicats qui souhaiteraient mieux réglementer une pratique nuisible pour la santé des travailleurs.

En 2006, BHP est cité dans une commission d’enquête en Australie (Commission Cole) à propos d’une cargaison de 20.000 tonnes de blé que l’entreprise a livrée en Irak en 1996, par l’entremise de l’AWB (l’association des céréaliers australiens). Cette livraison a eu lieu avant la mise en place du programme « pétrole contre nourriture » fin 1996, et alors qu’un embargo frappait le régime de Saddam Hussein. BHP a versé 5 millions de dollars pour la cargaison et prétendu que celle-ci était un don à caractère humanitaire [34]. BHP souhaitait en fait sécuriser ses droits d’exploitation pour des champs pétroliers dans le sud du pays. BHP a également fait pression auprès du gouvernement australien pour mettre fin aux sanctions touchant l’Irak [35].

BHP, le lobbying et le réchauffement climatique

BHP est l’un des plus importants exportateurs de charbon au monde, une activité à forte émission de gaz carbonique. Des activités qui se sont amplifiées depuis la fusion de 2001 (Afrique du Sud, Colombie [36], Nouveau-Mexique, Indonésie). En 2006-2007, les exportations de charbon australien ont représenté 620 millions de tonnes de CO2, plus que le total des émissions domestiques australiennes (520 millions de tonnes). Le charbon participe autant aux profits de BHP qu’au réchauffement climatique.

Dès 2005, sous la coupe du CEO Chip Goodyear, BHP est l’une des premières multinationales du secteur à publier un rapport de « durabilité », afin de verdir l’image du groupe et de se garantir une « licence to operate » auprès du grand public. BHP apporte son soutien aux technologies de « charbon propre ». Le groupe se concentre sur le captage et la séquestration du carbone et participe par centaines de millions de dollars aux recherches. Il s’agit de capturer le CO2 directement en sortie des usines et de le transférer par des pipelines dans des poches souterraines (d’anciennes mines ou gisements d’hydrocarbures, par exemple). Théoriquement, ce procédé pourrait permettre de capturer entre 85 et 90 % du dioxyde de carbone, mais nécessite la consommation de 10 à 40 % de charbon supplémentaire et l’émission de grande quantité de soufre et autres particules polluantes [37].

BHP est membre, et l’un des principaux contributeurs, de l’Australian Industry Greenhouse Network (AIGN) qui réunit les plus grands producteurs et consommateurs d’énergie fossile australiens [38]. Le personnel de l’AIGN est composé d’anciens fonctionnaires ou employés ministériels et pratique un lobbying important. Ses analystes ont rédigé des études sur les émissions de CO2 ou de futures législations pour le département australien à l’industrie et au trésor [39]. Une démarche d’influence puisque le gouvernement australien refusera de ratifier le protocole de Kyoto pendant 10 ans, jusqu’en 2007.

En 2008, BHP tente de racheter l’autre géant minier anglo-australien Rio Tinto, mais est contré par Chinalco et Alcoa, les spécialistes de l’aluminium chinois et américain, qui prennent des parts dans Rio Tinto pour 14 milliards de dollars. Finalement, et après de nombreux rebondissements, un joint-venture dans les gisements miniers du Pilbara est conclu en 2009. Les deux sociétés mettent en commun leurs actifs en Australie occidentale [40], précisément ceux qui étaient dans le viseur de BHP. Ce joint-venture permet aux deux groupes de devenir les premiers fournisseurs de fer au monde, devant le brésilien Vale [41].

En 2010, le 1er ministre australien Kevin Rudd décide d’instaurer une taxe de 40 % sur les superprofits du fer et du charbon. BHP, associé à Rio Tinto, Xstrata et d’autres mineurs locaux dépensent des millions pour payer des lobbyistes et stopper la mise en œuvre de cette taxe via des médias télévisés, des éditorialistes ou en achetant des spots publicitaires. L’argument principal était que cette taxe faisait peser le risque de faire fuir les investissements étrangers dans le pays, de conduire à la perte de dizaines de milliers d’emplois ou encore de mettre fin au boom minier qui a porté l’économie du pays à bout de bras depuis les années 2000 [42]. La campagne de lobbying va atteindre son but et aboutit à la chute du 1er ministre au bout de 53 jours, en juin 2010. BHP annonce une hausse de ses profits de 71,5 % lors du second semestre 2010 et échappe à la taxe. Rudd est remplacé par Julia Gillard courant 2010.

La même année, tandis que les cours du pétrole dépassent les 100 dollars, BHP se lance dans le pétrole de schiste. Mais les cours se retournent dans les années qui suivent et l’investissement se transforme en une perte de plusieurs milliards de dollars

En 2012, BHP clôt l’accès de ses archives [43] aux chercheurs, dans le but de maitriser elle-même les récits autour de son histoire.
En 2015, BHP scinde une partie de ses activités dans une nouvelle entreprise, South32, qui se concentre sur les mines et la fonderie pour le charbon, l’aluminium, le nickel et le manganèse. Avec cette opération, BHP se sépare d’une bonne partie des actifs de Billiton avant 2001. BHP conserve le fer, le cuivre et les ressources énergétiques (charbon, gaz, pétrole).

En novembre 2015 a lieu la catastrophe Minais Gerais au Brésil. Un barrage de retenue cède et les coulées engloutissent plusieurs villages en aval, causant la mort de 19 personnes et provoquant un désastre écologique majeur [44]. À l’été 2018, un accord est fixé entre la justice brésilienne, BHP et Vale (les deux opérateurs du barrage) pour fixer un calendrier de deux ans afin de négocier les indemnités que devront verser les deux entreprises. Celles-ci pourraient s’élever à 155 milliards de réales (plus de 35 milliards d’euros).

En 2016, le gouvernement australien demande 755 millions de dollars à BHP pour des pratiques de transfert de prix. Le groupe minier utilise sa filiale à Singapour comme plateforme de vente de ses métaux et évite ainsi une grande partie des impôts dus en Australie [45]. Près de 42 % des profits réalisés à Singapour auraient ainsi échappé au fisc australien [46] au cours des années 2000.

En 2017, une grève de 44 jours éclate sur le site d’Escondida au Chili, qui représente à lui seul près de 5 % de la production de cuivre mondiale. Les travailleurs réclament des augmentations de salaire ainsi qu’une prime supplémentaire. Un accord est finalement passé avec les travailleurs et a cours jusqu’à l’été 2018. Il s’agit de la plus longue grève du secteur minier chilien. Le record précédent, de 42 jours, était déjà détenu par BHP sur la mine de Spencer [47]. Début août 2018, les travailleurs décident à nouveau de se mettre en grève, insatisfaits de la proposition de BHP [48]. Un accord est finalement conclu dans le courant du mois d’août 2018 : les travailleurs obtiennent une prime de 24.500 euros et une augmentation de salaire de 2,8 %. [49]
Depuis 2017, le fonds vautour Elliott Management de Paul Singer se fait remarquer par son activisme [50] parmi les actionnaires de BHP. Le fonds demande successivement à BHP de rendre la cotation de l’entreprise unique, sur la place de Londres (ce à quoi s’oppose le gouvernement australien qui ne souhaite pas voir l’une des plus grandes entreprises du pays perdre son ancrage national), de renoncer à un investissement dans les fertilisants au Canada, de modifier la composition de son conseil d’administration ou de se séparer de ses actifs pétroliers aux États-Unis. La dernière doléance du fonds, qui possède près de 5 % des parts de BHP cotées à Londres, a obtenu satisfaction en juillet 2018 avec la vente des activités de BHP dans le pétrole de schiste à BP pour 10,5 milliards de dollars [51].

En décembre 2017, à la surprise générale, BHP annonce vouloir quitter la World Coal Association (WCA), le lobby des producteurs de charbon, pointant des divergences de vues. BHP avait également brandi la menace de quitter le MCA (Mineral Council of Australia) – qui avait notamment proposé une loi prévoyant que les groupes environnementaux ne puissent pas dépenser plus de 10 % de leurs budgets dans les actions de plaidoyer [52] – ainsi que la Chambre de commerce des États-Unis. Ces déclarations de BHP faisaient suite à une résolution portée lors de son assemblée générale par plusieurs actionnaires en 2017, qui pointaient le risque réputationnel encouru par BHP en continuant son soutien à des lobbies de l’industrie du charbon. D’aucuns désignaient alors le discours de BHP comme une opération de greenwashing tant qu’aucune décision effective n’avait été prise et surtout tant que BHP resterait membre de ces organisations en maintenant le financement de leurs activités. En avril 2018, BHP annonce sa décision de rester membre [53] de la Chambre de commerce des États-Unis et du MCA, mais de maintenir sa sortie de la WCA.

 


Pour citer cet article :

Romain Gelin, "BHP Billiton, the big Australian", septembre 2018, texte disponible à l’adresse [http://www.mirador-multinationales.be/secteurs/mines/article/bhp-billiton]


[1Markey, RA , Explaining Union Mobilisation in the 1880s and Early 1900s, Labour History : A journal of Labour and Social History, 83, 2002, 19-42.

[2The B.H.P. Review, Jubilee number, “Fifty years of industry and enterprise. 1885 to 1935”, Australia, June 1935.

[3Pearse M., The management rush : A History of management in Australia, 2010.

[4Pearse (2010), ibid.

[5Nommé d’après Guillaume Daniel Delprat, qui fut l’un des dirigeants emblématiques de BHP au début du XXe siècle.

[6Thompson & Macklin (2009), The Big Fella, The rise and rise of BHP Billiton, p.52.

[8Wyse N., Labour Movements, Trade Unions and Strikes (Australia), 2015. https://encyclopedia.1914-1918-online.net/article/labour_movements_trade_unions_and_strikes_australia

[9Wright, C. 1995, The Management of Labour : A History of Australian Employers, Oxford University Press, Melbourne. Cité dans Pearse 2010, op.cit.

[10Eklund, E., Mining in Australia : An historical survey of industry–community relationships, The Extractive Industries and Society 2 (2015), 177–188.

[11Jenkins B., The Great Lockout. An Economic perspective on the impact of the shutdown of Newcastle steelworks 1922/1923 in Student Research Papers in Australian History n°5, 1980, p.23-30.

[12Eklund 2015, op.cit.

[13Blainey, G. A Brief History of BHP Billiton [online]. Journal of Australasian Mining History, Vol. 8, Sep 2010 : 23-35.

[14Thompson & Macklin, 2009, op.cit., p.70.

[15Ibid.

[16Tsokhas, K. (1995). ‘Trouble Must Follow’ : Australia’s Ban on Iron Ore Exports to Japan in 1938. Modern Asian Studies, 29(4)

[17Eric Aarons, The Steel Octopus, The story of the BHP. 1961. p.24 - https://www.marxists.org/history/australia/comintern/sections/australia/1961/bhp.pdf

[18Thomas C. Buchanan & Thomas Ashley Mackay (2018) The return of the steel octopus : free enterprise and Australian culture during BHP’s Cold War, History Australia, 15:1, 62-77

[19Eric Aarons, The Steel Octopus, 1961, op.cit.

[20Buchanan, 2018, op.cit.

[21Thompson & Macklin 2009, p.87. op cit.

[22“Written with blood”, Australasian Mining Safety Journal, 15 feb. 2015.

[23“Mine safety under scrutiny after Moura disaster”, Green Left Weekly, Issue 155, August 17.

[24JC Pernetta (1988), Potential impact of mining on the fly river. UNEP Regional Seas Reports and Studies No. 99 - http://www.ais.unwater.org/ais/aiscm/getprojectdoc.php?docid=4103

[25Thompson & Macklin, The Big Fella, p.196. op.cit.

[26Ibid p.200

[27Hanson & Stuart “Failing the Reputation Management Test : The Case of BHP, the Big Australian” in Corporate Reputation Review, Vol.4, No. 2, 2001, pp. 128–143

[28The Sydney Morning Herald, Poor safety last straw for HBI, 26th July 2004.

[29Thompson & Macklin (2009),op cit., p.416

[31Thompson & Macklin (2009), op cit., p.428.

[32The Sydney morning Herald, Pampered FIFO workers come back to earth with a bump, 8th july 2016.

[33WAtoday, ’Miners are dying’ : The human cost of WA’s FIFO economy, 16 octobre 2017.

[34Botteril, L., Doing it for the Growers in Iraq ? : The AWB, Oil-for-Food and the Cole Inquiry, The Australian Journal of Public Administration, vol. 66, no. 1, pp. 4–12

[35The Sydney morning Herald, BHP’s secret Iraq deals revealed at inquiry, 10 mars 2006.

[39Thompson & Macklin (2009), op.cit. p401.

[42Alex Mitchell, Lobbying for the dark side, Meanjin quarterly, Volume 71, Number 2, 2012.

[43Erik Eklund, Mining Towns : Making a Living, Making a Life (Sydney : University of New South Wales Press, 2012),273

[44Custers Raf, BHP Billiton et Vale démasqués par un barrage brisé (Brésil), 13 novembre 2015 – Gresea. http://www.mirador-multinationales.be/divers/a-la-une/article/bhp-billiton-et-vale-demasques-par-un-barrage-brise-bresil

[45Financial Times, BHP to contest a $ 1bn Australia tax bill, 21 sept. 2016

[46The Guardian, BHP Billiton has evaded taxes for more than a decade, says Wayne Swan, 12 oct. 2016.

[47Les Echos, La grève qui a fait trembler le marché mondial du cuivre, 27 juillet 2018.

[48Reuters, Workers at Chile’s Escondida give BHP deadline to avoid strike, 3 août 2018.

[49humanité.fr, Victoire pour les mineurs chiliens d’Escondida, 20 août 2018. http://www.bonnes-nouvelles.be/site/actualites-victoire_pour_les_mineurs_chiliens_d_escondida-305-999-305-2496-fr.html

[50Voir la partie 3 de l’étude « Actionnariat et pouvoir dans les multinationales », extraite du Gresea échos N°90, juin. 2017. http://www.gresea.be/Actionnariat-et-pouvoir-dans-les-multinationales-1775

[51Bloomberg, BP’s Biggest Deal Since 1999 Scores Prized BHP Shale Assets, 27 juillet 2018.

[52The Guardian, BHP opposes Minerals Council of Australia’s war on activist rights, 7 nov. 2017