Une double rupture de barrages plonge le Minas Gerais au Brésil dans ce qui pourrait être la plus grande catastrophe environnementale d’origine industrielle que cet État n’ait jamais connue. La catastrophe s’est produite le jeudi 5 novembre à la mine de fer Germano, exploitée par l’entreprise Samarco. Des bassins contenants des rejets de la mine ont cédé, déversant un ‘tsunami de boue’ qui a inondé la région. Deux morts ont été identifiés, une trentaine de personnes sont portées disparues. Samarco n’a pas pris la peine d’évoquer le sort des victimes dans sa communication de crise et clame que la boue n’est pas toxique.
Les deux barrages de rétention des rejets miniers se sont rompus le 5 novembre vers 15 heures, heure locale. Ils étaient construits en cascade, l’un au-dessus de l’autre, pour stocker la vase de déchets de la mine de fer. Selon des sources locales, la double rupture des barrages a causé ‘un tsunami de boue’. La vague a détruit le village de Bento Rodrigues, situé deux kilomètres en aval, où habitaient environ 600 personnes. Le hameau de Paracatu de Baixo a également été ravagé. La boue s’est ensuite frayé un chemin vers le Sud, en direction de la Rio Gualaxo et de la ville minière Mariana. Le volume total de boue qui a inondé la région serait de 62 milliards de litres (62.000.000.000). Selon les autorités locales, la boue pourrait continuer à couler jusqu’au 10 novembre et atteindre l’état voisin Espirito Santo, sur la côte atlantique.
Germano est l’une des trois mines à ciel ouvert desquelles Samarco extrait du fer du sous-sol. Le site pourrait être épuisé vers 2037 (estimation). La production de fer de Samarco en 2014 était de plus de 13 millions de tonnes. A Germano, le minerai de fer est traité, puis transformé en concentrés (contenant jusqu’à 30 pour cent de fer), qui sont ensuite transportés par pipeline – sur une distance de 400 kilomètres – à l’usine de Samarco, à Ubu dans l’État d’Espirito Santo. Samarco exploite trois pipelines similaires entre Germano et Ubu. Par comparaison, le transport par voie ferrée serait six fois plus cher.
L’entreprise Samarco est la propriété de deux des plus grands producteurs de minerais de fer au monde, à savoir les multinationales Vale (Brésil) et BHP Billiton (Grande-Bretagne-Australie) qui détiennent chacune 50 pour cent de Samarco.
Pas grave…
Immédiatement après la catastrophe, Samarco renvoyait le public vers son compte Facebook pour des nouvelles sur la situation. Deux messages apparaissaient en haut de page. Samarco citait tout d’abord le nombre de personnes sinistrées, mais abritées par l’entreprise dans la région de Mariana (dimanche 8 novembre, ce chiffre était de 588). Le second message était destiné à rassurer l’opinion publique sur le fait que la boue des bassins de rejets n’est pas toxique. Pas un mot sur d’éventuelles victimes.
Pourtant, la double rupture a fait au moins deux morts, et des dizaines de personnes sont portées disparues. Parmi elles, une équipe de 13 personnes travaillant sur le site au moment du désastre. Fernando Pimentel, le gouverneur de Minas Gerais, a déclaré que les chances de les retrouver vivantes étaient quasi inexistantes.
Des spécialistes de l’environnement et des activistes doutent quant à eux très fortement de la thèse de Samarco selon laquelle le fleuve de boue, contenant les rejets miniers, ne serait pas toxique. La possibilité que des restants de la production de concentrés aient pu se trouver dans les bassins à rejets semble tout à fait probable. De l’acide sulfurique est généralement utilisé pour ce type de procédé, et il n’est pas rare que de l’arsenic et du sélénium puissent ensuite se dégager des vases de déchets.
Selon Júlio César Wasserman de l’Université de Fluminense, il faudra assurer un contrôle serré de la région affectée par le ‘tsunami de boue’ pendant des années. Marcio Almeida de l’université UFRJ avertit que des substances toxiques risquent d’infiltrer les eaux du sous-sol et les eaux potables. Une commune de la région de Mariana a d’ailleurs immédiatement arrêté les prélèvements d’eau de la Rio Doce. L’approvisionnement en eau potable d’un demi-million de personnes serait compromis.
Alertes négligées
La mine Germano de Samarco se trouve dans le Quadrilatero Ferrifero (le “rectangle de fer”), un des plus grands bassins de minerai de fer du monde. Les villes historiques de Mariana et d’Ouro Preto sont au cœur de cette région. Tout y est au service
Service
Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
de l’industrie minière. Pour cette raison, la région compte aujourd’hui 730 barrages de rétention des déchets miniers du même type que ceux de Samarco. Le chiffre est cité par le quotidien brésilien O Globo.
Les groupes d’actions avertissent depuis des années des risques que posent ces infrastructures. Il existe au Brésil un mouvement national de personnes affectées par les barrages (le Movimento dos Atingidos por Barragens, MAB). Ce mouvement pointe du doigt les mécanismes de contrôles défectueux des barrages industriels. Chez Samarco, ces contrôles ne sont pas effectués par une institution publique, mais par une entreprise privée, sous-traitante de la première.
Un autre groupe d’action, le mouvement national pour la souveraineté du peuple face à l’industrie minière (le Movimento Nacional pela Soberania Popular Frente à Mineração, MAM) se joint à cette critique. Selon Marcio Zonta du MAM, cette catastrophe aurait pu être évitée et Samarco doit en être entièrement tenue pour responsable.
Samarco a évoqué la thèse selon laquelle la double rupture de barrages aurait pu être provoquée par un séisme. Des spécialistes à Sao Paulo ont confirmé vendredi que quatre séismes relativement légers (de 2.2 à 2.6 sur l’échelle de Richter) avaient été observés la veille dans les environs de la mine Germano. Mais cette thèse est aussi contestée. Le média d’informations alternatif Brasil de Fato a en effet publié des documents concernant la construction et la capacité des barrages de Samarco. Selon cette source, les bassins de Germano étaient presque remplis en 2013 – beaucoup plus tôt qu’annoncé dans la demande de permis de construction - et Samarco avait demandé l’autorisation de faire des travaux d’extension.
Minas Gerais, le berceau de l’industrie minière brésilienne n’avait jamais connu de catastrophe environnementale de cette envergure causée par l’industrie. L’analogie avec le désastre du Deepwater Horizon n’a pas encore été faite. En 2010, un puit de pétrole situé sous cette plateforme en mer exploitée par l’entreprise pétrolière britannique BP dans le Golfe du Mexique, a fui par suite d’une explosion. Cet incident a causé l’une des plus grandes catastrophes environnementales de ces dernières années, jusqu’ici inédite en haute mer et sur les côtes des États-Unis. BP a conclu un accord avec la justice américaine en juillet 2015 pour plus de 18 milliards de dollars d’indemnisation. Le gouverneur Pimentel de Minas Gerais a d’ores et déjà déclaré que l’entreprise minière Samarco subirait le même sort.
Depuis cette déclaration (qui date du 8 novembre), l’entreprise Samarco s’est vu infliger plusieurs amendes. Le 10 novembre, Samarco a été sommé en justice d’organiser une opération pour constater le degré de pollution de la Rio Doce, sous peine d’une astreinte de 50.000 reais (13.000 dollars, 12.044 euros) par heure. La Rio Doce a, ironiquement, donné son nom à l’entreprise Companhia Vale Rio Doce (CVRD), qui a changé de nom en 2007 pour devenir Vale, un des deux copropriétaires de Samarco. Le 12 novembre Samarco a reçu une première amende de 250 millions de reais (66,2 millions de dollars, 61,3 millions d’euros).
Effet d’aubaine
La mine à ciel ouvert de Germano a été fermée. Le monde des affaires réagit à sa manière après la catastrophe. Les producteurs de fer sont soulagés qu’une tranche de l’énorme surcapacité de production de minerai de fer ait été éliminée. Cela va faire augmenter le prix du fer sur le marché
Marché
Lieu parfois fictif où se rencontrent une offre (pour vendre) et une demande (pour acheter) pour un bien, un service, un actif, un titre, une monnaie, etc. ; un marché financier porte sur l’achat et la vente de titres ou d’actifs financiers.
(en anglais : market)
mondial Les analystes de la Deutsche Bank ne s’attendent pas une réouverture de Germano avant 2019.
Les entreprises BHP Billiton et Vale, qui se partagent le contrôle de Samarco, ont été secouées par le désastre. Les actionnaires de BHP craignent que l’entreprise ne verse qu’un dividende
Dividende
Revenu de la part de capital appelé action. Il est versé généralement en fonction du bénéfice réalisé par l’entreprise.
(en anglais : dividend)
réduit. La compagnie Vale est devenue la cible de la colère populaire au Brésil. Vale appartenait entièrement à l’État jusqu’en 1997, année où elle a été privatisée. L’État maintient une part importante du capital
Capital
Ensemble d’actifs et de richesses pouvant être utilisés pour produire de nouveaux biens ou services.
(en anglais : capital, mais aussi fund ou wealth)
, entre autres via la banque publique de développement du Brésil, la BNDES.
Mais bon nombre de mouvements sociaux reprochent à Vale de suivre uniquement la logique du moindre coût et du profit pour son actionnariat. Cette logique serait co-responsable du désastre à la mine de Germano.
Sources :
Brasil de Fato, Cobertura especial, en ligne, http://cobertura.brasildefato.com.br/
BHP Billiton and Vale must be held to account, Mines and Communities, 7 novembre, en ligne- http://www.minesandcommunities.org/article.php?a=13156
Rush to speed Brazil mine permit may be behind dam disaster, agence Reuters, 9 novembre 2015
Tragédia pode afetar abastecimento de água de 500 mil pessoas, le quotidien O Globo, 8 novembre 2015.
UPDATE 4-Dam burst at Vale, BHP mine devastates Brazilian town, agence Reuters, 6 novembre 2015
Winning, David, Five questions facing BHP following deadly Brazil spill, Wall Street Journal, 8 novembre 2015 - http://blogs.wsj.com/briefly/2015/11/08/5-questions-facing-bhp-following-deadly-brazil-spill/