
Tout est à inventer
Au moment de rédiger ces lignes, les travailleurs du groupe Delhaize sont sous le choc d’une décision de fermeture de 14 magasins entraînant quelque 2.500 licenciements. Le groupe est bénéficiaire sans discontinuer depuis 1990, ses actionnaires (dont 25% de fonds spéculatifs) en savent quelque chose puisque, en vingt ans, 1993-2013, les dividendes les ont enrichi de 2,5 milliards d’euros (100 milliards de nos anciens francs). La multinationale Delhaize, c’est en Belgique, plus ou moins, le groupe est coté à Euronext mais aussi au New York Stock Exchange : son PDG est hollandais et les ramifications du groupe sont mondiales. En France, ce sont, au même moment, les travailleurs de l’ancien cigarettier public Seita qui sont aux prises avec un patronat sans visage qui délocalise sans états d’âme, vers la Pologne notamment, rien à redire parce que personne à qui s’adresser, les usines relèvent du "portefeuille" du britannique Imperial Tobacco, n°4 mondial, où on retrouve parmi les actionnaires à peu de choses près les mêmes fonds spéculatifs (BlackRock, Morgan Stanley, etc.).
Un syndicaliste français aura ce commentaire désabusé : "L’État est complice du massacre de l’emploi en France." (L’Humanité, 18 juin 2014). Il fait écho à une remarque faite par Benoît Gerits lors du colloque dont on lira ici le condensé. Évoquant le dossier Alstom, à ce jour toujours tiraillé par les appétits financiers d’une vente à la découpe (USA ou Allemagne), il ne cachera pas son dépit : "Vous aurez remarqué qu’on ne se demande pas s’il faut vendre, mais à qui vendre…"
Là, on est au beau milieu du colloque : que peuvent encore faire, aujourd’hui, les travailleurs dans le cadre d’un "capitalisme des monopoles généralisés" ? L’expression est de Samir Amin, il dit bien ce dont il s’agit.
Que faire quand des pans entiers de l’appareil productif – cas du textile et de l’électronique – ont été atomisés (pulvérisés) dans ce qu’il est convenu d’appeler des "chaînes d’approvisionnement" fantomatiques : une myriade d’ateliers de labeur, très loin, en Asie et d’autres régions à bas salaires de la périphérie ? Que faire quand d’autres pans qu’on croyait intouchables (l’industrie "noble", dite lourde, métallurgie et chimie) prennent le même chemin ? Ici et là-bas, le scénario est identique : l’usine sans patron, sans visage, invisible – mais parfaitement organisé, totalement maître de ses décisions, il sait ce qu’il veut et il sait comment l’obtenir.
Il y a bien longtemps de cela, en 1864, naissait la première Association internationale des travailleurs qui, à son troisième congrès, à Bruxelles, 1868, réunissait déjà près de 100 délégués. D’emblée, elle soulignait sa vocation internationaliste tant il importe aux travailleurs, sans cesse, de "se mettre au courant des mystères de la politique internationale, à surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs et la combattre au besoin pour tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu’ils seraient impuissants à rien empêcher, s’entendre pour une protestation commune et revendiquer les lois de la morale et de la justice qui doivent gouverner les relations des individus, comme la règle suprême des rapports entre les nations." Fin de citation. Rien à ajouter.
Aujourd’hui, voilà très exactement ce qu’il faut réinventer.
Sommaire
Gresea Echos N°78, 2e trimestre 2014 : Alliances transnationales de travailleurs
- Edito : De la nécessité d’alliances nouvelles / Erik Rydberg
- Les protagonistes / Bruno Bauraind
- Le syndicalisme d’entreprise multinationale : une perspective historique / Bruno Bauraind
- Vers une internationale des calls centers ? / Lise Blanmailland
- Vers une négociation collective transnationale / Bruno Bauraind
- Réseau d’urgentistes contre Rana Plaza Inc. / Erik Rydberg
- Un colloque, peu de réponses, beaucoup de questions / Bruno Bauraind
- À lire
Numéro consultable en ligne : http://issuu.com/gresea/docs/ge78complet_final
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